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ment. Les terrains, qui originairement avaient coûté 6 francs, puis 14 francs, puis, paraît-il, 30 francs le mètre, étaient comptés dans l’actif à des prix fabuleux. On les estimait, pour la vente, un quart à 60 francs le mètre, un autre quart à 75, un autre quart à 100, et le dernier quart à 120 francs. Grâce à ces commodes évaluations, on arrivait à établir en fin de compte que la société, joignant aux bénéfices réalisés sur les terrains le produit de différens services d’utilité publique, devait recouvrer intégralement son capital dans un bref délai, et réaliser un bénéfice de 5 millions en cinq ans, de 10 millions en dix ans.

Où a-t-on abouti cependant? Hélas! où l’on aboutit toujours quand on s’écarte des enseignemens économiques les mieux établis, c’est-à-dire à la ruine. A peine a-t-on pu tracer des rues, poser la bordure de quelques trottoirs, qu’il a fallu tout abandonner. Les matériaux, les instrumens de travail, gisent épars sur le sol. Les ruines existent avant qu’on ait rien édifié. Les acheteurs ne sont point venus. Quant aux conséquences funestes que ces tentatives ont eues pour la cité, elles n’ont pas besoin de commentaires. Les terrains, que les petits propriétaires du pays avaient déjà vendus fort cher, furent tout de suite portés par les acquéreurs à des prix excessifs. Frais de construction, location des appartemens et des boutiques, installations commerciales, tout se ressentit d’un surenchérissement artificiel. On avait commis cette grande faute, trop fréquente de notre temps, de pousser à la cherté. La hausse réduisit promptement la masse des affaires pour le commerce local ; elle entraîna des faillites. Saint-Nazaire se ressentira longtemps de ces premiers écarts de l’esprit d’entreprise. Après les échecs subis, il fallut renoncer momentanément à toute idée de constructions systématiques. Nombre de nouveaux arrivans, munis d’un petit capital, s’étant vus débordés par les exigences des détenteurs, sont allés bâtir çà et là dans la banlieue, au préjudice du développement régulier de la cité. Le temps seul pourra remettre dans la circulation les terrains aujourd’hui presque invendables, à commencer par ceux qui sont le plus rapprochés du centre.

Après les fausses opérations sur les terrains survint une grande catastrophe qui priva soudainement de travail près de 2,000 ouvriers. Ce fut la fermeture des chantiers de constructions maritimes de Penhouët par suite de la faillite de la compagnie anglaise qui les avait installés. Ce coup terrible fut un véritable malheur public. L’établissement de Penhouët payait près de 6,000 francs de salaires par jour. La fondation de ces ateliers avait été la conséquence des conditions imposées à la Compagnie transatlantique, qui devait faire construire en France un certain nombre de ses navires. Outre