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REVUE. — CHRONIQUE.

toute autre combinaison ; il assume jusqu’à un certain point la responsabilité de la crise où se débat l’industrie des voies ferrées en Belgique. Il s’engage dans une voie dangereuse, d’autant plus dangereuse qu’étant lui-même propriétaire de chemins de fer il apparaît tout à la fois comme représentant de la puissance publique et comme concurrent des Intérêts privés. Voilà ce qu’on peut dire de la mesure récemment proposée et adoptée. Dans tous les cas, que la mesure fût bonne ou mauvaise, il n’est point douteux que les Belges étaient les premiers juges, que le gouvernement de la Belgique était dans son droit en sauvegardant comme il l’entendait les intérêts du pays, en refusant de livrer deux artères nationales à une grande compagnie étrangère. Il n’a fait que ce que le gouvernement français ferait sans nul doute en pareil cas, et ce que personne ne songerait à lui reprocher. Imagine-t-on la ligne de Boulogne à Paris entre les mains d’une compagnie anglaise siégeant à Londres, ou la ligne de l’Alsace entre les mains d’une compagnie prussienne qui serait à Cologne ! Le gouvernement belge a eu raison ou tort au point de vue de ses intérêts, il a simplement exercé sa souveraineté. C’est là pourtant ce qu’on a élevé à la hauteur d’un mauvais procédé, d’un acte d’hostilité contre la France ; c’est à propos d’un fait si peu extraordinaire qu’on s’est évertué pendant une semaine à représenter la Belgique comme hérissée dans sa neutralité taquine, mieux encore, comme soumise à l’influence de la Prusse, qui serait intervenue secrètement pour l’aiguillonner, pour l’animer à la résistance !

Voilà en vérité une puérile querelle qu’on fait à la Belgique ! Mais, dira-t-on, la preuve que le gouvernement belge a obéi à une pensée de défiance et de malveillance, c’est qu’il refuse aujourd’hui à la compagnie de l’Est ce qu’il a autrefois accordé à la compagnie française du Nord. Sans doute le Nord français possède quelques fragmens de voie ferrée en Belgique ; il va de Givet à Liège, d’Erquelines à Charleroi, de Maubeuge à Mons. Seulement ce sont des fragmens, et lorsqu’en 1856 le Nord français voulut étendre la ligne de Mons jusqu’à Manage avec le dessein de pousser plus tard jusqu’à Bruxelles, le gouvernement belge s’y opposa ; il se fondait justement sur a les inconvéniens que pouvait avoir au point de vue des intérêts généraux du pays une extension trop grande de l’exploitation des chemins de fer belges par une compagnie étrangère très puissante. » On ne voyait pas là un mauvais procédé en 1856 ; c’est la même pensée aujourd’hui. Ce qui est vrai, c’est que le gouvernement belge n’a peut-être pas montré dans cette question toute la maturité nécessaire, il s’est laissé emporter. Il a présenté une loi générale, toute de principe sans doute ; mais il l’a présentée à propos d’un cas spécial, lorsqu’il avait déjà des pouvoirs suffisans pour réprimer un empiétement, pour éviter toute surprise, et en proposant la loi avec une précipitation impatiente, il a paru agir comme s’il avait quelque chose à craindre,