Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/269

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
263
REVUE. — CHRONIQUE.

tout ce que pourrait tenter la Prusse pour lui susciter des ennemis parmi les populations slaves, roumaines, ne ferait que la pousser dans d’autres alliances. Ce qu’il y a de plus étrange, c’est qu’au lieu de reconnaître cette situation et de tout faire pour l’apaiser, M. de Bismarck n’a rien négligé pour l’aigrir, de telle façon que, si l’Autriche n’est point encore pour la Prusse une ennemie déclarée, elle est tout au moins une vaincue qui ne demande pas mieux que de prendre sa revanche, une antagoniste avec laquelle il faudra désormais compter.

C’est surtout vis-à-vis de la France que cette politique cassante et hautaine du victorieux de Berlin a montré peu de prévoyance, et c’est là en définitive qu’est le nœud des complications actuelles de l’Europe. Quelles sont les relations de la France et de la Prusse ? Assurément nous en croyons sur parole M. de Bismarck lorsqu’il déclare, comme il le faisait l’autre jour dans la chambre des seigneurs, que la Prusse ne veut pas faire la guerre à la France, qu’elle n’a que des desseins pacifiques. La guerre n’est pas dans le langage, ni même dans les intentions, si l’on veut ; elle est dans les choses, dans l’état moral et politique créé par les événemens de 1866, dans cet état que le ministre prussien était le premier intéressé à pacifier, et qu’il n’a fait qu’irriter par ses actes, par son attitude. Nous ne cherchons pas, nous ne voulons plus chercher ce qui s’est passé à l’origine entre les cabinets de Paris et de Berlin Nous ne demandons plus s’il y a eu des réclamations qui étaient dans l’esprit de la lettre impériale du 11 juin 1866, et qui n’ont pas été accueillies. Ce qui est certain, c’est qu’un politique habile et prévoyant eût immédiatement senti la nécessité de ne pas laisser se développer les malaises, s’aigrir les antagonismes entre les deux pays ; il se serait préoccupé de détourner la seule chance sérieuse de conflit qui pût menacer l’œuvre prussienne à peine accomplie. Ce qui est certain encore, c’est que le jour où s’est produite l’affaire du Luxembourg, cette mince acquisition de territoire était à coup sûr pour la France une médiocre satisfaction, si médiocre qu’il n’y a même pas à la regretter ; mais il y avait là une occasion qu’un véritable homme d’état n’aurait pas dû laisser échapper, car c’était assurément désarmer pour longtemps la France à peu de frais. M. de Bismarck ne l’a pas voulu, ou, s’il y a pensé, lui l’homme hardi, il n’a pas osé ; il a reculé devant une petite concession qui était une victoire pour lui plus que pour nous. Il a cru pouvoir tenir tête à tout le monde et rester en équilibre au milieu de toutes les rivalités, de tous les intérêts.

Il en est résulté cette situation progressivement envenimée où l’Allemagne ne peut rester visiblement ce qu’elle est, et où elle ne peut faire un pas sans se heurter infailliblement contre la France, où la paix universelle dépend d’un incident grec, d’un incident belge, peut-être de quelque incident badois. — C’est le roi de Hanovre qui fait courir ces bruits de discorde européenne, dit tranquillement M. de Bismarck ; ce sont les