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malveillans qui mettent le télégraphe dans leurs intérêts et qui répandent de fausses nouvelles, qui répètent par exemple que tout récemment on a rasé les glacis de Mayence comme à la veille d’une entrée en campagne. Il est bien possible, puisque M. de Bismarck le dit, qu’on n’ait fait que transplanter quelques arbres de la promenade de Mayence. La question n’est pas là précisément ; la question est de savoir pourquoi et à quel titre les Prussiens sont à Mayence, qui n’est plus une forteresse fédérale, qui appartient à la Hesse-Darmstadt, et qui n’est pas dans la partie du grand-duché affiliée à la confédération du nord. La question est de savoir comment, tout étant changé en Allemagne, il ne reste d’invariable que la prédominance militaire de la Prusse jusque dans les états du sud, jusque sur nos frontières. Voilà la question qui n’est pas résolue, qui n’a même pas été abordée encore, sans doute avec intention, mais qui peut surgir d’un instant à l’autre, quand on le voudra, parce qu’il est bien clair que l’état actuel ne peut se prolonger indéfiniment entre deux puissances dont l’une n’a pas renoncé assurément à ses projets sur l’Allemagne tout entière, dont l’autre n’a pas pris son parti des blessures faites à sa politique. Que faut-il pour allumer le conflit ? Moins qu’une allumette cette fois, moins qu’un incident belge. À vrai dire, il n’y a qu’une chose qui conspire aujourd’hui pour la paix. Nous ne parlons pas de la puissance des intérêts, de l’honneur de la civilisation. Il y a une autre chose encore, c’est le sentiment poignant de responsabilité qui retient les hommes avant d’engager la lutte dans de telles conditions, lorsque depuis trois ans on accumule les armemens, les ressources militaires, les moyens de destruction. Tout le monde sent qu’avec les forces dont on dispose, avec les passions qui s’agitent, avec les animosités qu’on a laissées se développer, la guerre qui peut éclater n’est pas une guerre ordinaire. Rien n’est malheureusement plus vrai, ce ne sera pas seulement le choc de deux armées, ce sera le choc de deux peuples, et voilà la belle situation où la politique de M. de Bismarck a contribué à placer l’Europe. Il y a de quoi réfléchir, nous en convenons, et c’est à ces deux grands pays d’Allemagne et de France qui peuvent être exposés à expier les fautes qu’on a commises en leur nom, c’est à ces deux grands pays de savoir, de dire s’ils veulent jusqu’au bout s’abandonner à la fatalité qu’on leur a si bien préparée.

Pour le moment, ce ne sont pas ces affaires qui se discutent. On détourne les yeux de cet état de l’Europe dont on pressent l’aggravation sans vouloir y regarder de trop près. On laisse la conférence ensevelir selon les formes le conflit gréco-turc dans les papiers diplomatiques où dorment les protocoles. On n’insiste plus sur cet incident belge, qui ne peut avoir de suites sérieuses, que le gouvernement lui-même ne tient pas sans doute à exagérer. L’attention est absorbée un peu par les élections, qu’on entrevoit à travers tout, beaucoup par les discussions du corps législatif sur l’administration de la ville de Paris, et certainement ces dis-