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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/27

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à elles avec un tel ménagement qu’elles semblaient se fondre, et qu’un deuxième plan de collines aussi trompeuses se dessinait déjà dans le nouvel horizon sans qu’il fût possible de dire si l’on avait ou non franchi les premières. — N’avez-vous jamais remarqué qu’un trajet paraît d’autant plus long qu’on en prévoit moins la durée? Le temps compte double à qui ne connaît pas le terme de son voyage. Partir sans savoir quand on s’arrêtera, c’est éprouver une impression affaiblie de l’éternité, à plus forte raison si l’on marche dans un désert. On comprendra donc combien nous semblaient longues les huit ou dix lieues que nous franchissions chaque jour avec la lenteur du pas de l’infanterie.

L’étape finie, pas plus pour les officiers que pour les soldats l’arrivée au bivouac n’est le signal du repos. Il faut d’abord tracer les limites du camp, déterminer la place de chacun, veiller à l’installation régulière des hommes et des chevaux, assister enfin aux diverses distributions; celle de l’eau surtout demande une surveillance attentive. Vérifier que chaque fraction de troupes reçoit intégralement la part qui lui revient, en faire ensuite entre les hommes une égale répartition, exiger enfin que la ration des chevaux ne soit pas détournée de sa destination, tels senties devoirs des officiers, devoirs souvent douloureux à remplir, et qui exigent une grande énergie quand ils consistent à mesurer à chacun la part de souffrance qui lui incombe. Une fois le service fait, je retournais à ma tente, que je trouvais dressée et prête à me recevoir. Un lit de cantine, un pliant et une petite table, voilà tout le mobilier; mais quel bon sommeil ce lit procurait, et avec quel plaisir on s’asseyait à cette table pour y écrire une lettre qu’on savait impatiemment attendue! Personne ne doutera qu’à la fin d’une semblable journée la toilette ne fut la source d’une bien légitime jouissance. Je ne pouvais compter sur ma faible ration d’eau, absorbée tout entière par un plus utile usage; mais celle de mon cheval, ménagée de manière à n’en pas perdre une goutte, me servait au moins, avant de lui revenir, à un simulacre de lavage; il fallait seulement éviter d’y mêler du savon, pour lequel les chevaux ont une aversion insurmontable. Le dîner était généralement gai, l’appétit le faisait toujours paraître excellent. Il se prolongeait par des causeries échangées autour de la table en fumant, et qui nous conduisaient facilement jusqu’à huit heures et demie, heure habituelle du coucher. Quelques bonsoirs retentissaient dans le camp, puis chacun rentrait chez soi, et l’on n’entendait plus rien, si ce n’est parfois les hennissemens de deux chevaux qui se battaient et la voix du factionnaire qui les séparait à coups de bâton. C’était certes une vie peu comfortable, mais qui m’a pourtant donné de bons momens, et laissé de bien douces impressions.

A trois heures du matin, le clairon venait subitement donner de