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traînait inévitablement une lutte inégale. En rétablissant les relations interrompues entre elle et le gouvernement ottoman, en la défendant contre ses propres entraînemens par les règles tracées à ses rapports avec la Turquie, les puissances lui ont rendu le service le plus signalé qu’elle pût espérer. »

Le ministre des affaires étrangères sait dorer la pilule. Il y a cependant du vrai dans ce qu’il dit : oui, puisque l’Occident, s’éloignant à tort de l’esprit du traité de 1S56, abandonnait la cause des Crétois, la défense de cette cause ne pouvait pas rester à la charge de la Grèce toute seule, et il n’était pas juste que ce qui était, ce qui est encore une obligation européenne dans les limites du traité de 1856, devînt seulement une obligation grecque. La Grèce y succombait; il était bon qu’elle en fût dégagée, et sous ce rapport M. de La Valette a raison, et raison honorablement pour la conférence et pour la Grèce.

Je ne crois pas autant que le fait M. de La Valette aux calamités inévitables de la lutte inégale, dit-on, que la Grèce allait engager avec la Turquie. Sans doute les grandes puissances ont eu sur les forces respectives des deux états, la Grèce et la Turquie, des renseignemens que nous n’avons pas, et qui leur ont fait craindre que la Grèce ne fût écrasée par la Turquie; mais, si la Turquie est si forte et si puissante, d’où vient qu’elle a souffert que la Crète lui résistât pendant deux ans? D’où vient qu’elle n’a pas, dès les premiers momens, inondé ce coin de terre de ses soldats? D’où vient qu’elle ne l’a point enfermé dans le cercle infranchissable de ses vaisseaux? Dira-t-on que la Grèce soutenait la résistance de la Crète? Mais quoi? si la Grèce pouvait soutenir efficacement la Crète, elle pouvait se soutenir elle-même, au moins pendant quelque temps, et personne ne peut savoir aujourd’hui en Europe ce que produirait une guerre qui durerait plus de six mois.

Outre les bienfaits de la paix, il y a un avantage considérable que la conférence a procuré à la Grèce et même à l’Europe tout entière. Je ne parle pas ici de la pensée du grand amphictyonat européen proposé, il y a déjà quelques années, par l’empereur, et dont tous ses ministres ne manquent pas de faire l’éloge; je veux parler d’un fait important qui s’est manifesté par l’objet même de la réunion de la conférence de Paris. Quand en 1854 une conférence était réunie à Vienne pour empêcher la guerre, c’était bien alors de la question d’Orient qu’il s’agissait, et de la question d’Orient sous son ancienne forme, sous la forme qu’elle avait eue dans la dernière moitié du XVIIIe siècle et dans la première moitié du XIXe l’envahissement progressif de la Turquie par la Russie. L’empereur Nicolas avait voulu clore cet envahissement centenaire