Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/306

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

censeurs et des régens, qui votent le budget, et peuvent, en le refusant ou en le modifiant, mettre le gouverneur dans l’impossibilité de faire mouvoir le mécanisme de son petit état. Heureusement jamais pareille occurrence ne s’est présentée; le conseil et le gouverneur marchent d’accord : sur chaque question, il y a entente préliminaire. Tout se traite à l’amiable entre gens qui n’ont qu’un but et savent l’atteindre : mettre l’intérêt de l’état en rapport avec celui des particuliers. Par cette loi, on est arrivé à un résultat excellent : la Banque s’administre, l’état gouverne. La Banque de France constitue donc un service public confié à une société privée surveillée par l’état. De cette façon, si par hasard l’esprit mercantile et intéressé des actionnaires, représentés par le conseil, venait à prévaloir, le gouverneur interviendrait pour garantir les droits du commerce et rappeler la Banque à l’esprit de son institution. Cette surveillance de l’état paraîtra indispensable à ceux qui estiment que, pour demeurer stable et sérieux, le crédit public ne doit pas se jeter dans les aventures. Les statuts, rédigés par Gandin, en date du 16 janvier 1808, et qui sont l’application développée de la loi de 1806, ont dit très sagement à l’article 8 : « La Banque ne peut, dans aucun cas ni sous aucun prétexte, faire ou entreprendre d’autres opérations que celles qui lui sont permises par les lois. » Rien n’est plus juste que cette mesure restrictive. Un établissement chargé de maintenir le crédit ne peut et ne doit rien faire de facultatif.

C’est grâce aux dispositions à la fois très précises et très réservées qui ont présidé à sa fondation, grâce à la sagesse expérimentée de ses fondateurs, grâce à ce gouvernement constitutionnel dont le fonctionnement régulier ne s’est pas ralenti une minute, que la Banque a pu traverser des heures singulièrement douloureuses. Elle a vu s’écrouler des trônes, elle a assisté à l’anéantissement du crédit public, à la disparition des espèces métalliques, elle a été englobée dans des crises financières qui troublaient les états et ruinaient les particuliers; rien n’a pu paralyser son action ni même affaiblir son mécanisme. A un seul jour de notre histoire, le plus triste peut-être, elle crut tout perdu et désespéra. En 1814, la veille de l’entrée des alliés, la Banque fut saisie de panique, et pendant que sur la place Vendôme on jetait au feu des drapeaux, elle brûlait ses billets sous l’impulsion irréfléchie de Jacques Laffitte. Un si profond désarroi ne pouvait durer, il n’était point digne d’hommes qui avaient su aborder de front tant de difficultés; ils reprirent vaillamment la direction du navire qui portait Paris et sa fortune, ils payèrent à caisse ouverte, et par cette mesure ne contribuèrent pas peu à rendre la confiance aux plus timides.