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Trente-quatre ans plus tard, une nouvelle crise aiguë mit encore la Banque en péril. On se rappelle l’atonie inconcevable qui suivit la révolution de février 1848. L’industrie, le commerce, la finance, étaient tombés dans un état comateux qui ressemblait de bien près à la mort. Les clairvoyans avaient beau prêcher la confiance, on vivait dans une sorte d’inquiétude somnolente dont on ne parvenait pas à sortir. Le capital, effrayé, se cachait. Le bureau du change de l’hôtel des Monnaies regorgeait de gens affairés qui venaient vendre leurs couverts, et la cour de la Banque était encombrée de personnes réclamant des espèces contre leurs billets. La Banque paya sans désemparer, malgré l’agio sur l’or, qui était monté à 70 francs; mais la réserve métallique s’épuisait. La loi du 10 juin 1847, en autorisant la Banque à émettre des billets de 200 francs, dont la création était depuis longtemps réclamée par le commerce, avait multiplié les signes de la monnaie fiduciaire. Le danger était grand et pouvait conduire tout droit à une catastrophe. Le gouvernement de la Banque et le gouvernement provisoire discutèrent la question, et un décret du 15 mars 1848, tout en évitant de prononcer les mots de cours forcé, décida que les billets de la Banque de France seraient reçus comme monnaie légale par les caisses publiques et les particuliers. L’article 4 du même décret disait en outre que, « pour faciliter la circulation, la Banque de France était autorisée à émettre des coupures, qui toutefois ne pourraient être inférieures à 100 francs. »

Il ne manqua pas de gens qui crièrent aux assignats et prédirent la banqueroute. Ces prophètes malavisés en furent pour leurs sinistres clameurs. Non-seulement la Banque ne sombra point, mais en 1849 ses billets faisaient prime, et elle prêtait à tout le monde avec la générosité d’une Cybèle dont rien ne peut tarir l’inépuisable fécondité : le 5 juin 1848, elle remettait au trésor 150 millions, — le 24 du même mois, 10 millions à la ville de Paris, — le 29 décembre, 3 millions à Marseille, — le 3 janvier 1849, 3 millions au département de la Seine. Cette mesure extrême de décréter le cours forcé eut une conséquence qu’on n’avait guère prévue : loin de déprécier le papier, elle en fit reconnaître la valeur, elle en popularisa l’usage, et il n’est pas aujourd’hui si pauvre hameau qui ne l’accepte comme argent comptant. Non-seulement toutes les coupures de la Banque ont maintenant cours en France, mais elles équivalent à l’or en Allemagne et en Italie. Depuis que des banques ont émis des titres au porteur, nul billet n’a peut-être obtenu et mérité une telle confiance. Le cours légal ne se prolongea pas longtemps; il cessa normalement le 6 août 1850, à la promulgation d’une loi dont l’initiative appartenait à la Banque elle-même.