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du billet bleu de 100 francs, dont le verso est si gracieux, a exigé cinq années de tâtonnemens; mais on reconnaîtra, si on l’examine à la loupe, qu’on a pris à tâche d’y accumuler toutes les difficultés que peut offrir la gravure.

Après avoir subi une première opération dont je ne suis point libre d’expliquer les détails, la feuille de papier est imprimée par des presses spéciales mues à la vapeur. L’encre est bleue, inaltérable, et la composition doit en être tenue secrète. Comme on exige que chaque billet soit sans défaut, on ne se dépêche pas. Les personnes qui ont vu l’activité fébrile d’une imprimerie ordinaire ne pourraient croire que ce grand atelier paisible, très propre et même élégant, emploie les mêmes procédés de travail. Un inspecteur se promène incessamment, allant d’une presse à l’autre, surveillant chaque mouvement, donnant parfois un ordre bref, et rappelant par la régularité de sa marche, contenue dans d’invariables limites, la promenade monotone des officiers de marine lorsqu’ils sont de quart dans la batterie. Autrefois le numérotage des billets se faisait à la main, méthode lente, défectueuse, et qui, malgré l’attention qu’on pouvait y apporter, amenait souvent des erreurs. Aujourd’hui il n’en est plus ainsi. M. Derriey a inventé une machine qui automatiquement applique aux billets le numéro de série, le numéro d’ordre et le numéro générique. C’est merveilleux à voir. Elle peut numéroter 1,000 feuilles sans qu’on soit obligé d’y toucher; elle fait son travail ponctuellement, et ne se trompe jamais. A chaque billet qui passe sous son timbre mobile, elle change le chiffre des unités; tous les 10 billets, elle change la dizaine, tous les 100 billets la centaine, et cela avec cette intelligence impeccable qui ferait croire à l’âme intelligente de cet être de fer et d’acier. A l’appareil est joint une pompe pneumatique qui déplace chaque feuille dès qu’elle a reçu d’un seul coup la quintuple empreinte dont elle doit être marquée.

Ces divers travaux sont conduits par des hommes qui ont conscience de l’importance exceptionnelle de leur devoir, et il semble qu’ils la fassent partager à leurs machines, tant celles-ci ont des mouvemens doux et onctueux. On ne se presse pas, je le répète, car la perfection qu’on cherche à obtenir ne peut guère s’accommoder d’une trop grande rapidité. Il faut vingt jours pour qu’une simple feuille de papier, déjà munie des filigranes internes, puisse être convenablement imprimée. Est-il nécessaire d’ajouter qu’à chacune des phases différentes qu’elle traverse elle est étudiée et rejetée, si elle n’est pas parfaite sous tous les rapports. Un registre spécial reçoit une sorte de procès-verbal de toutes ces opérations. En le consultant, on pourrait savoir combien on a refusé de feuilles à la