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papeterie depuis que la Banque de France existe, combien ont été fautées par l’impression, combien par le numérotage. C’est un chef-d’œuvre de contrôle permanent et de comptabilité.

Tous les billets, réunis et classés selon la lettre de série, — mille par lettre, — sont répartis en alphabets ; chaque alphabet se compose de vingt-cinq paquets attachés à part. Ils sont livrés en cet état par le chef de l’imprimerie au chef d’un bureau particulier qu’on appelle la comptabilité des billets. Celui-ci fait apposer sur les billets la signature du secrétaire-général et celle du contrôleur à l’aide d’une machine mue par une pédale et portant un timbre armé d’une griffe autographique. Si, en cet état, un billet venait à disparaître et était mis en circulation, on reconnaîtrait promptement qu’il a été soustrait, car il lui manque encore la dernière signature, celle du caissier principal, qui est la plus importante, et donne, en s’associant aux deux autres, une valeur de 1,000 francs à ce chiffon de papier. Le chef de la comptabilité ouvre un registre particulier à chaque alphabet ; chaque billet y est inscrit par son numéro d’ordre, et l’on constate ainsi ce qu’on appelle une création. Cette formalité étant accomplie, les billets, réunis et ficelés par paquets séparés, sont remis au secrétaire-général et au contrôleur, qui les enferment dans leur caisse à double clé jusqu’au jour où l’émission en sera décidée. Cette dernière mesure est provoquée par le caissier principal, qui juge, lorsque le vide commence à se faire dans ses armoires, des besoins auxquels il doit faire face. Par l’entremise du gouverneur, il adresse sa demande au conseil, qui arrête que tel nombre d’alphabets lui seront remis. Dès lors il reçoit les billets des mains de ceux qui les avaient en garde ; il les fait timbrer de sa griffe, baptême définitif qui les rend viables, et il les livre au public. En général on fait en sorte d’avoir toujours une grosse masse de billets en réserve, de façon à ne les faire circuler qu’une année au moins après qu’ils sont sortis de l’imprimerie.

Il n’a pas la vie dure, ce pauvre billet de banque ; il résiste deux ans, trois ans au plus, et dans quel état il reprend le chemin du bercail qu’il a quitté si coquet, si pimpant ! Il rentre criblé de trous d’épingles, percé à l’angle des plis, gris, terne, mou, vieilli avant l’âge par toutes les pérégrinations auxquelles il a été condamné avant de revenir se reposer et mourir aux lieux mêmes où il a pris naissance. Il en est qui ont été si bien modifiés par une longue série d’infortunes qu’il est presque impossible de les reconnaître. Il faut l’œil exercé du chef de la comptabilité pour ne pas hésiter. J’en ai vu qui n’étaient plus que des débris ; ils avaient été arrachés du feu, avaient été retrouvés à demi digérés dans l’estomac d’une chèvre.