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compte sans hésiter des billets de 2 ou 3 francs souscrits par de pauvres diables aux abois[1]. Ce sont surtout les petits commerçans, les fabricans infimes, qui ont recours à la Banque; elle se montre bonne mère pour eux et ne les repousse pas. Les hauts financiers, les grands banquiers, ceux qu’on appelle familièrement les gros bonnets, ne s’adressent que bien rarement à elle; ils ont intérêt à faire eux-mêmes l’escompte et à user de leurs capitaux avant de s’adresser à ceux d’autrui.

Tous les billets acceptés sont rangés par ordre d’échéance et enfermés dans ce qu’on appelle le portefeuille; quel abus de mots! Je défie Briarée de le mettre dans sa poche. C’est une immense caisse à doubles murailles de fer, à quadruples serrures, qui remplit à elle seule une chambre entière, chambre en pierres de taille dans laquelle elle est scellée par des crampons gros comme des peupliers de vingt ans. Tous les jours, on fait remettre au bureau chargé de la recette les effets qui échoient le lendemain. Ce bureau offre une physionomie particulière, on l’appelle la galerie. Il occupe au rez-de-chaussée une salle immense à laquelle un sous-sol provisoire sert de complément. On y fait le tri des billets, on les divise par quartiers; chaque quartier est remis à un brigadier, qui le distribue à ses hommes. Les garçons de recette de la Banque de France sont bien connus dans Paris. Qui ne les a vus passer, la chaînette du portefeuille pendant à la boutonnière, la sacoche à l’épaule, le tricorne crânement posé sur le coin de l’oreille? Qui n’a été frappé de leurs bonnes figures sans moustaches, de leur allure rapide, de l’air de probité répandu sur leur visage? Leur costume invariable, le grand frac gris à boutons blancs ornés d’une tête de Mercure, est respecté par la population à l’égal de n’importe quel uniforme, et ce n’est que justice, car tous sont de braves gens qui manient des fortunes, portent parfois plusieurs millions dans leurs larges poches, et sont incapables de voler deux sous. Ils sont au nombre de 170 et divisés en quinze brigades correspondant aux quinze zones par lesquelles la Banque a fictivement partagé Paris. Au point du jour, ils partent pour aller présenter à chaque signataire le billet que ce dernier a souscrit et en recevoir l’équivalent. Aux échéances du 15 et de la fin du mois, chacun d’eux a en moyenne cent trente maisons à visiter. Si l’on réfléchit que chaque billet doit être remis au domicile du souscripteur, que ce soit à l’entre-sol ou au sixième, on pourra imaginer que le soir ils ont les jarrets singulièrement fatigués par tous les escaliers qu’il leur a

  1. On a présenté à l’escompte, en 1868, 610 effets de 10 fr. et au-dessous, 80,440 de 11 fr. à 50 fr., 148,230 de 51 fr, à 100 fr., soit plus d’un septième de l’admission générale.