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ÉTUDES ET PORTRAITS
DU
SIÈCLE D’AUGUSTE

III.
LE RÈGNE DE CLAUDE ET DES CÉSARIENS.

Le jour de la mort de Caligula est un jour unique et solennel dans les annales du peuple romain. Lorsque Chéréa, tribun d’une légion prétorienne, Sabinus, tribun d’une autre légion, démens, préfet du prétoire, s’élancèrent dans les rues de Rome en brandissant leurs épées ensanglantées et en criant : « Rome est libre, » ce n’était point un vain mot. Rome était libre en effet, et rarement l’on trouvera un affranchissement aussi complet dans l’histoire des révolutions. Il n’y avait point de prétendant, point de fils légitime ou adoptif d’un empereur; les conspirateurs n’avaient aucun plan, et leur seule pensée était la vengeance; aucune tête ne s’élevait au-dessus des autres, Tibère et Caligula avaient fauché les pavots de Tarquin. Partout était établie cette égalité qui naît de la servitude; la société romaine était aplanie, comprimée, soumise à une tranquillité morne et étouffante comme la surface de la mer avant l’orage. On n’avait à redouter ni un héros, ni un de ces grands