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en qualité de personnage consulaire et lui enjoindre de venir siéger au Capitule avec le sénat. Claude, toujours éperdu, répondit que les soldats le retenaient de force, ce qui était la vérité. Le sénat sourit, les plus prudens ressentirent quelque inquiétude, ils la cachèrent, et l’on passa outre; mais laissons faire la nuit, la nuit cette mauvaise conseillère, qui inspire les grands coups aux scélérats et les grandes lâchetés aux honnêtes gens. Demain, au lever du jour, il ne viendra pas cent sénateurs au Capitole; demain, les mariniers du Tibre, les gladiateurs, les habitans des faubourgs, se précipiteront vers le camp prétorien pour acclamer Claude; demain, les cohortes urbaines, découragées par l’inaction de leurs chefs, iront se joindre aux prétoriens, les chevaliers se dirigeront sagement du côté du plus fort, les mêmes sénateurs qui se moquent du prétendant et vantent la république seront aux pieds de Claude, et c’est lui qui les protégera contre la colère de ses soldats.


II.

Quel était donc ce maître improvisé, ce fils adoptif de la force, cet empereur de hasard, ce client du soldat Gratus, dont une poignée de mercenaires faisait sa créature? Que valait-il? Quel était son mérite, son caractère, son prestige? quel était son passé? Il était fils du grand Drusus, qui avait promis à Rome la liberté, mais quel fils! Il était frère de Germanicus, idole stérile, espoir déçu des Romains, mais quel frère! Pour le juger, nous n’écouterons ni les satiriques, ni même les historiens les plus dignes de foi; nous écouterons le témoignage de ses parens et les aveux de sa propre famille.

Dès sa naissance, le pauvre enfant traversa une série de maladies graves qui altérèrent également sa santé et sa raison; aux infirmités s’ajoutait la faiblesse de l’esprit, et les Romains ne pardonnaient pas plus l’une que les autres. On l’abandonna aux soins d’un palefrenier qui le corrigeait comme ses bêtes : Claude lui-même, dans ses mémoires, se plaint des mauvais traitemens de ce singulier précepteur. Quand il eut grandi, son extérieur disgracieux et sa niaiserie ne lui concilièrent pas davantage l’affection de ses proches. Antonia, sa mère, honnête femme et vraie matrone romaine, qui pratiquait dans la retraite les vertus de la famille, l’appelait elle-même un avorton, un opprobre de la nature; elle en faisait un point de comparaison, et, dès qu’il s’agissait d’un sot, elle ajoutait : « Il est plus sot que mon fils Claude. » Livie, son aïeule, lui témoignait en toute occasion le plus tranquille mépris. Quant à Auguste, malgré le respect dont il voulait entourer sa famille et la famille de sa femme, afin de fonder sa dynastie et de