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battre les machinistes et les employés dont il avait été mécontent.

Après les spectacles, le meilleur passe-temps était la justice. Claude avait la même rage que le juge des Guêpes et celui des Plaideurs; il aurait jugé le monde entier. Les journées s’écoulaient sans qu’il se fatiguât d’entendre les avocats et de trancher les causes les plus délicates. Le soir, en rentrant au Palatin, il était discuté, critiqué, loué par les césariens : par exemple le jour où, par un trait de génie, il condamna une mère qui reniait son fils à l’épouser. L’état de béatitude de Claude siégeant sur son tribunal était tel qu’on pouvait alors tout oser impunément. Un chevalier qui plaidait, exaspéré par l’ineptie de ses questions, lui jetait ses tablettes d’ivoire et son poinçon à la tête. Les avocats le clouaient sur sa chaise curule quand il voulait se lever, ceux-ci le saisissant par ses vêtemens, ceux-là par les pieds; mais rien ne pouvait le retenir, si l’odeur de quelque festin préparé par les prêtres du temple voisin arrivait jusqu’à lui : il levait la séance et courait s’inviter. Souvent le bonhomme s’endormait, laissant béante sa bouche baveuse, et Narcisse, qui était son assesseur, lui rendait compte de l’affaire à sa façon quand il s’éveillait. C’est ainsi que, les députés de la Bithynie étant venus dénoncer Junius Cilo, créature des césariens, qui les avait pillés sans merci : « Que veulent-ils? demanda Claude, qui n’avait rien entendu. — Ils te rendent grâce et louent Junius Cilo, répondit Narcisse. — Eh bien! dit Claude, je continue à Junius Cilo son gouvernement pour deux ans. »

Une troisième occupation, ce fut la censure, que Claude se mit en tête d’exercer sérieusement. Il voulut faire un dénombrement complet des citoyens, se rendre compte de leur fortune, de leur origine, chasser les intrus (c’était la majorité), les affranchis, pénétrer toutes les fraudes. Ce fut un dédale inextricable, et le pauvre archéologue eut beau ressusciter l’ancien cérémonial, planter sa chaise curule pendant des mois entiers en plein Champ de Mars, ce ne fut qu’une longue mystification. Les césariens le poussaient et le laissaient faire. Les seules lois bonnes et efficaces qu’ils l’aidèrent à promulguer pendant sa censure, ce furent les lois sur l’affranchissement, sur la protection des esclaves ; ils connaissaient la matière et devaient bien cela à leurs frères restés dans l’infortune.

La guerre eut son tour parmi les occupations ménagées à Claude. Les césariens l’envoyèrent à l’extrémité du monde, contre le roi des Bretons, Cynobeline. Le voyage fut long, mais égayé par d’innombrables parties de dés, l’expédition courte, car tout avait été préparé par Plautius, même la victoire. Au bout de seize jours, Claude revint enivré, casque en tête, couronné de lauriers, égal en gloire aux plus illustres triomphateurs, revêtant volontiers dès lors