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leur instrument, leur jouet. Ils ne sont plus ses affranchis, ils sont ses maîtres: ils ne sont plus la propriété de césar, césar est leur propriété : saluons donc l’avènement des césariens.

La seule personne avec laquelle les césariens doivent compter, c’est Messaline; mais elle est leur complice, ils lui font la part du lion, ils travaillent pour elle. Ils lui assurent le silence pour ses débauches, l’impunité pour ses crimes; ils lui accordent tout ce qu’elle souhaite, les parures, les jardins magnifiques, l’or à flots, le luxe insensé; ils l’aident à proscrire ceux qu’elle hait, à dépouiller ceux qu’elle envie, à violenter ceux qu’elle aime, à tuer ceux qui la dédaignent ou lui résistent. Elle a le titre d’augusta, comme l’a eu Livie; le jour de sa naissance est célébré par des fêtes aussi pompeuses que le jour de la naissance de l’empereur; elle monte en char au Capitole quand Claude triomphe des Bretons. Les césariens n’ignorent pas qu’une créature aussi dissolue, absorbée par ses sens, partagée entre la langueur et le désir, n’a point le temps d’être ambitieuse. Ils lui laissent ce qui charme les femmes, les apparences et la vanité du pouvoir; ils en gardent la réalité. Elle trône, mais ils règnent.

Et le bonhomme Claude? Quelle part lui fait-on dans cette vaste saturnale? La meute gorgée, que reste-t-il à l’innocent chasseur? Que lui réserve-t-on dans l’empire qu’il a conquis sans le savoir? Les césariens lui prodiguent aussi les apparences extérieures du pouvoir; ils l’occupent, le produisent en public sans cesser de l’entourer, ils l’amusent, ils remplissent ses journées; ils lui laissent à peine le temps de respirer. Ceux qui réglaient la vie de Sancho Pança dans l’île dont on l’avait fait souverain n’avaient pas plus d’art pour le dégoûter de son gouvernement que les césariens n’en déployaient pour que Claude fût enchanté du sien.

En première ligne venaient les plaisirs. Il aimait la table : on lui donnait des festins de six cents couverts, et, dès qu’il s’y endormait, on le faisait vomir en glissant délicatement une plume dans sa bouche ouverte, de sorte qu’il recommençait à manger aussitôt. Il aimait les femmes : Messaline avait soin de s’entourer de belles esclaves, et les césariens plaçaient auprès de lui des concubines dont ils étaient sûrs, qui ne pouvaient saper leur crédit; les deux favorites, qui s’appelaient Cléopâtre et Calpurnie, obéirent aux césariens dès qu’ils leur ordonnèrent de dénoncer Messaline. Claude aimait le jeu, surtout le jeu de dés : les césariens avaient inventé un moyen ingénieux de le faire jouer, même en voiture; ils pouvaient dès lors l’emmener, le transporter à leur gré sans qu’il murmurât. Il aimait le cirque et l’amphithéâtre : on multiplia les spectacles, et, comme à l’heure où le peuple allait dîner l’empereur ne voulait point quitter la place, pendant l’entr’acte on faisait com-