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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/401

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puis longtemps par les philosophes et les économistes que la première de toutes les libertés était celle du travail. Que d’efforts n’a-t-il pas fallu pour abaisser les barrières qui séparent les peuples, pour supprimer le droit d’aubaine, les passeports! On se souvient encore des luttes qui ont précédé l’application des chemins de fer et celle de tant d’autres réformes utiles. Il ne faut pas s’en étonner. L’homme est un être d’habitude, il craint ce qu’il ne connaît pas, même lorsqu’il sent les inconvéniens de ce qu’il connaît. Il est assurément désagréable à tout le monde d’être obligé de changer de monnaie lorsqu’on traverse la frontière et d’avoir à subir la rançon des gens qui vivent de ce trafic, il est désagréable aussi de payer les lettres de change sur l’étranger plus cher qu’on ne le devrait parce qu’on n’a pas la même monnaie, désagréable enfin de ne pouvoir lire avec les mêmes chiffres les statistiques et les mercuriales de tous les pays; mais on est habitué à cette situation, et il faudra un grand effort pour la changer. C’est le fait des mauvais impôts ; personne ne les aime, tout le monde les critique, et on les garde néanmoins par cela seul qu’ils existent. Il y a d’ailleurs une résistance plus forte que celle de la routine, c’est celle des intérêts opposés. Les deux mille changeurs qui vivent de la différence des monnaies, le nombre non moins grand de banquiers qui trafiquent du change, ne sont pas disposés à accepter une amélioration qui serait la ruine de leur industrie. Ils combattent très vivement la monnaie internationale, et cela se comprend; ils agissent comme ont pu agir autrefois les maîtres de poste et les entrepreneurs de diligences lorsqu’il a été question de la création des chemins de fer. Il ne faut pas attacher à cette opposition plus d’importance qu’elle n’a.

Dernièrement, dans l’enquête qui a eu lieu sur le double étalon, on a demandé l’avis de la Banque de France, comme on avait demandé celui des receveurs-généraux et des chambres de commerce. Cet avis s’est trouvé favorable au maintien du statu quo et en contradiction avec celui de la majorité des autorités consultées. Était-ce là une opinion parfaitement désintéressée? Certes les hommes qui composent le conseil de régence de la Banque sont des hommes très honorables, très indépendans, très éclairés; mais ce sont en majeure partie des banquiers : quelque abnégation qu’on leur suppose, il est impossible que, lorsqu’une question leur est soumise, ils ne l’envisagent pas à travers leurs lunettes particulières. L’homme est ainsi fait, il se persuade aisément que ce qui est son intérêt doit être celui de tout le monde. Supposez pour un moment que le conseil ait été composé autrement, et que l’élément banquier y ait été moins prépondérant. Il est douteux que la réponse eût été