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ment, de lui donner la précision scientifique, et cette difficulté est très réelle. Elle tient à ce que l’idée générale repose sur deux ordres de faits de nature fort différente et qui semblent assez souvent être en désaccord. Présentez au premier paysan venu deux animaux entièrement semblables, sans hésiter il les déclarera de même espèce. Demandez-lui si les petits d’un animal quelconque sont de même espèce que ses père et mère, il répondra oui à coup sûr. L’immense majorité des naturalistes pense et parle au fond comme le paysan. Un bien petit nombre seulement n’a vu avec Flourens que le côté physiologique de la question ; d’autres, un peu plus nombreux, entraînés par les habitudes ou forcés par la nature de leurs travaux à ne voir que la forme, se sont placés exclusivement au point de vue morphologique, et parmi eux nous rencontrons quelques paléontologistes ou géologues justement célèbres. Quant aux naturalistes proprement dits, ceux qui s’occupent essentiellement des espèces, qui les étudient à l’état vivant et sont par suite amenés à tenir compte de tout, ils sont ici pleinement d’accord. Lorsqu’ils ont voulu définir l’espèce, ils se sont tous efforcés de faire entrer dans leurs formules les deux notions de la ressemblance et de la filiation. Ainsi ont fait Buffon et de Jussieu, Lamarck et Blainville, Cuvier et de Candolle, Isidore Geoffroy et A. Richard, Bronn lui-même et C. Vogt. J. Muller et M. Chevreul. Sans doute les termes employés diffèrent. Cette variété d’expressions qu’on a voulu présenter comme une divergence de doctrines n’a rien que de très naturel. On sait combien une bonne définition est difficile à trouver lors même qu’il s’agit des choses les plus simples, combien la difficulté s’accroît à mesure qu’il s’agit d’embrasser un plus grand nombre de faits ou d’idées. Or la notion de l’espèce est forcément des plus complexes. Voilà pourquoi tant d’hommes éminens, essentiellement d’accord sur les points fondamentaux, ont varié dans la traduction des idées accessoires. D’ailleurs les sciences marchent, et, venu après eux, j’ai cru pouvoir, moi aussi, proposer une définition de plus.

Les deux idées qui concourent à former l’idée générale d’espèce ne sont nullement simples. Dès le début, et à ne tenir compte que des phénomènes les plus communs, les seuls connus au temps de Linné et de Buffon, l’idée de ressemblance fut nécessairement complexe ; elle dut embrasser la famille entière avec les différences que comportaient les sexes et les âges. Le père et la mère ne se ressemblent pas ; pendant une période plus ou moins longue de la vie, les fils et les filles diffèrent quelquefois beaucoup de l’un et de l’autre. Le faon se distingue au premier coup d’œil du cerf et de la biche. Les métamorphoses de certains insectes offraient à nos prédéces-