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avec un mâle lièvre pur. Ce léporide avait donc trois quarts de sang de lièvre et un quart seulement de sang de lapin. Son pelage présentait quelque analogie avec celui de son père. Pourtant il ressemblait tellement au lapin sous tous les autres rapports que la société jugea nécessaire de le faire examiner de près et par comparaison. M. Florent Prévost, dont la vie entière s’est passée à la ménagerie du Muséum, et qui joint à l’expérience d’un aide-naturaliste émérite celle d’un chasseur, fut chargé de ce soin. « Occupé de cette intéressante question, dit-il dans son rapport, j’ai quitté de bonne heure la société pour aller dans plusieurs marchés et chez quelques personnes examiner tous les lapins, morts ou vivans, que j’ai pu rencontrer, pour les comparer à celui qui occupait la société. Sur le grand nombre d’individus que j’ai observés, huit ou dix avaient les mêmes caractères que j’avais remarqués sur celui auquel je venais de les comparer, et cependant ce n’étaient que des lapins domestiques[1]. » Ainsi, dès la seconde génération et malgré ses trois quarts de sang de lièvre, ce léporide était redevenu en tout semblable à un lapin pur, au jugement d’un homme dont la compétence en pareille matière est certainement indiscutable.

Ce phénomène du retour aux types parens, que nous retrouvons chez les animaux invertébrés ou vertébrés comme chez les végétaux, mérite toute notre attention. Seul il explique un fait qui sans cela serait fort étrange. Le nombre des hybrides féconds est sans doute extrêmement restreint ; pourtant il est loin d’être nul. Comment se fait-il donc qu’il soit à peu près impossible d’obtenir une véritable race hybride, c’est-à-dire une suite de générations reproduisant d’une manière plus ou moins complète les caractères mixtes empruntés à deux espèces différentes ? Malgré les efforts de tant d’expérimentateurs, on n’en connaît pas un seul exemple chez les animaux ; chez les végétaux, qui se prêtent bien plus aisément à l’expérimentation, on n’a réussi qu’une seule fois : les quarterons de blé et d’ægilops comptent aujourd’hui chez M. Fabre et chez M. Godron plus de vingt générations consécutives. Je reviendrai plus tard sur cette exception remarquable. Je me borne pour le moment à constater que, si l’on ne connaît pas d’autre fait de même nature, c’est que la loi de retour aux types parens vient constamment contre-balancer la loi de l’hérédité, en dépit de la sélection, en dépit même de la prédominance d’un des deux sangs, comme chez le léporide de M. Gayot.

Ce dernier fait, celui que j’empruntais plus haut aux expériences

  1. Bulletin des séances de la Société impériale et centrale d’agriculture de France, mars 1868.