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des naturalistes ont fait du chien des îles Malouines (îles Falkland) une espèce distincte sous le nom de canis antarcticus[1]. Ils répètent que cet animal a été trouvé là par le commodore Byron, le premier Européen qui, selon eux, aurait visité ces îles. Il y a là d’abord une erreur historique. Byron ne fit que toucher aux Malouines en janvier 1765. Or l’année précédente, en janvier aussi, Bougainville avait conduit dans ces îles une colonie d’Acadiens, et y avait séjourné pendant quelque temps. Il s’y trouvait de nouveau au moment de la visite de Byron. C’est ce dont on peut se convaincre en consultant les deux récits de voyage écrits par ces célèbres navigateurs. Tous deux parlent du chien qu’ils ont vu dans ces îles et à peu près dans les mêmes termes quant aux caractères extérieurs ; mais Bougainville a pu être plus précis. « Cet animal, dit-il, est de la taille d’un chien ordinaire, dont il a l’aboiement, mais faible. » Ce dernier détail est décisif, aucune espèce sauvage n’aboie, et, pour pouvoir le faire, il fallait que le canis antarcticus, descendu d’un chien domestique, n’eût pas même eu le temps à cette époque d’oublier son langage appris. Du reste Bougainville, sans même s’occuper de la question zoologique, nous apprend fort bien comment cet animal a dû arriver dans cet archipel isolé, lorsqu’il rappelle que sir Richard Hawkins, en longeant les côtes, avait vu des feux à terre, et en avait conclu que ces îles étaient habitées.

Les faits précédens, les conséquences qui en découlent, me semblent répondre pleinement à la seule objection nouvelle opposée par Darwin à l’opinion qu’a soutenue Frédéric Cuvier lui-même. Si les pigeons proviennent tous d’une seule souche sauvage, il en est incontestablement de même du chien[2]. À plus forte raison peut-on en dire autant des autres espèces auxquelles le savant anglais accorde une origine multiple. En somme, elles ne sont pas bien nombreuses, pas plus que celles dont l’origine unique est hors de doute. Au point de vue morphologique, elles ne présentent rien qui dépasse ni même qui égale ce que nous montrent les pigeons, et leurs races sont aussi moins nombreuses ; au point de vue physiolo-

  1. Le canis antarcticus paraît ressembler beaucoup au chien aguara, race marronne issue d’un chien domestique de l’Amérique du Sud, et qu’il ne faut pas confondre avec l’aguara proprement dit. Ces ressemblances mêmes trahissent son origine. Il est du reste surprenant que les naturalistes aient accepté si facilement l’existence sur le stérile et petit archipel des Malouines d’un mammifère de cette taille lui appartenant exclusivement. Il y avait là une exception aux faits généraux de la géographie zoologique qui aurait pu éveiller leur attention d’une manière toute spéciale.
  2. Dans la Revue même, j’ai montré après Güldenstaedt, Pallas, Tilesius, Ehrenberg, Hemprich, Isidore Geoffroy, que le chien n’est autre chose que le chacal domestique (Unité de l’espèce humaine). J’ai apporté depuis quelques preuves nouvelles à l’appui de cette opinion, en faisant connaître les faits qu’ont bien voulu me communiquer diverses personnes, entre autres MM. Lartet, Dufour, etc.