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gique, nous retrouvons chez elles cette facilité de croisement que Darwin invoque en parlant des races colombines ; la chèvre, le bœuf, le porc, ont donné des races marronnes sur divers points du globe, et le dernier surtout, en se rapprochant du sanglier, en acquérant aussi des caractères en harmonie avec le climat, a néanmoins conservé des traces irrécusables de son ancienne servitude. Bien plus, l’histoire récente de quelques-unes de ces espèces nous apprend comment ont pris naissance chez d’autres ces races anormales, dont la multiplicité spécifique des origines est incapable de rendre compte, au dire de Darwin lui-même. En voyant l’ancon reproduire chez le mouton les jambes et le corps du basset, en retrouvant dans le bœuf gnato les caractères extérieurs et ostéologiques du bouledogue, nous comprenons aisément ce qui a dû se passer chez le chien[1]. Pour qui se place à notre point de vue, l’induction, partant de faits précis, permet donc de résoudre des questions reconnues inabordables par l’hypothèse que je combats.

En résumé, tout nous ramène à voir l’expression de la vérité dans le langage ordinaire et accepté par nos contradicteurs eux-mêmes, langage qui comprend sous une même dénomination spécifique les races canines, bovines, ovines, porcines, de même que nous n’avons qu’un seul nom pour désigner l’ensemble des races de pigeons. Il faut ou bien renoncer à chercher dans nos races animales domestiques des exemples d’hybridation, ou bien admettre autant d’espèces que l’on compte de formes héréditaires bien tranchées ; mais, si l’on se place à ce point de vue exclusivement morphologique pour le chien, le porc, le cheval, on ne peut agir autrement pour le lapin, l’âne, l’oie, le canard, le pigeon. On est conduit à séparer en espèces distinctes des êtres dont la filiation est bien connue et qui descendent incontestablement d’une espèce unique sauvage vivant encore à côté de nous. Il me semble difficile que cette dernière conséquence soit acceptée par les morphologistes les plus décidés. Pourtant elle ressort irrésistiblement de leurs doctrines dès qu’on les applique aux questions spéciales dont nous possédons le mieux les données essentielles. Je me crois donc auto-

  1. La race ancon ou race loutre de moutons a pris naissance dans le Massachusetts en 1791. Le bœuf gnato (bœuf camard) apparaît d’une manière erratique dans nos troupeaux d’Europe (Nathusius cité par Darwin). M. Dareste a récemment étudié un jeune veau né aux environs de Lille et qui présentait tous les caractères du gnato de la Plata. (Rapport sur un veau monstrueux ; Archives du comice agricole de l’arrondissement de Lille, 1867). Cette race s’est constituée et assise au milieu des troupeaux des Indiens à demi sauvages au sud de la Plata. À l’époque où M. Lacordaire visita ces régions, elle parait avoir été assez répandue, et quelques personnes, oubliant l’origine tout européenne du bétail américain, la croyaient indigène. Elle existe aussi au Mexique, comme nous l’apprend une communication faite à l’Académie des Sciences par M. Sanson dans la séance du 8 mars 1869.