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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/434

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risé à conclure que ces doctrines ont pour fondement avant tout notre ignorance même, et n’ont de valeur apparente que lorsqu’il s’agit de ce que nous ne connaissons pas.

Telles sont les conclusions générales que je crois pouvoir tirer de tous les faits empruntés au règne animal. Chez les végétaux, l’influence plus facile et plus forte du milieu, la multiplicité correspondante des variétés et des races naturelles ou artificielles, la facilité que la greffe, le marcottage et les autres procédés de reproduction fournissent pour multiplier les plus graves comme les plus légères variations, viennent compliquer singulièrement les phénomènes ; néanmoins, en les étudiant avec attention, l’on est conduit exactement aux mêmes résultats, indépendamment des analogies qu’on peut légitimement établir d’un règne à l’autre en pareille matière. Pour justifier cette conclusion, je ne crains pas d’en appeler à l’ouvrage même de Darwin, bien que l’auteur parfois ne paraisse pas très loin d’adopter la manière de voir opposée. Pas plus que pour les animaux, il ne cite d’exemple bien constaté d’une suite de générations hybrides nées d’espèces sauvages, et les groupes de races cultivées sous le même nom spécifique lui semblent seuls témoigner en faveur des mélanges hybrides. Lui-même s’exprime parfois de manière à montrer qu’il hésite à formuler cette conclusion en présence de la fécondité si complète de toutes ces races entre elles. Il accepte d’ailleurs franchement le résultat des expériences qui ont démontré l’unité spécifique de quelques-uns des groupes où les formes sont le plus multipliées. Il cite sans commentaires le travail du Dr Alefeld, qui, après avoir cultivé une cinquantaine de variétés de pois (pisum sativum), a conclu de ces études qu’ils appartenaient certainement à la même espèce ; il ne fait aucune objection au travail si complet de M. Decaisne[1], qui, après dix ans d’expérimentation ininterrompue, est arrivé à la même conclusion pour les poiriers, dont on connaît plus de six cents variétés ou races[2]. Il aurait pu ajouter que le même expérimentateur, qu’il appelle « un des plus célèbres botanistes de l’Europe, » a ramené à une seule sept formes de plantain extrêmement différentes, toutes fort répandues dans la nature, et que l’on considérait, en apparence avec raison, comme autant d’espèces différentes[3].

  1. De la variabilité dans l’espèce du poirier ; résultat d’expériences faites au Muséum de 1853 à 1862 inclusivement. (Comptes-rendus de l’Académie des Sciences, séance du 6 juillet 1863.)
  2. Godron, De l’espèce et des races dans les êtres organisés.
  3. Je tiens le chiffre de M. Decaisne lui-même, qui s’est borné à indiquer, dans le compte-rendu d’une séance de la société qu’il présidait alors, le résultat général de ses recherches. Il a reconnu dans le genre plantago, si nombreux pour quelques botanistes, trois espèces majeures seulement. Les autres ne sont que des races ou des variétés. (Bulletin de la Société de botanique de France, séance du 20 avril 1860.)