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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/436

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et se mit à l’œuvre pour continuer une expérience si heureusement commencée. Pendant douze années consécutives, il cultiva les graines de son ægilops triticoïdès, et finit par obtenir des plantes donnant un blé parfaitement comparable à celui de certaines variétés de froment. Alors seulement il publia les résultats de ses recherches, qu’avait suivies et contrôlées un célèbre botaniste de Montpellier, Dunal.

Les faits observés par M. Fabre étaient incontestables ; les conséquences qu’il en tirait semblaient être à l’abri de toute objection. La transformation de ægilops ovata en froment sembla un moment un fait acquis à la science, et pourtant il n’en était rien. Quelques particularités dans les phénomènes de cette prétendue métamorphose avaient éveillé l’attention de M. Godron, alors professeur à Montpellier. Ce botaniste éminent crut y reconnaître les caractères d’une hybridation plutôt que ceux d’une transformation graduelle. À son tour il expérimenta, et, croisant d’abord ægilops ovata avec le froment, il obtint l’ægilops triticoides ; puis, fécondant de nouveau cet hybride avec du pollen de froment, il obtint un quarteron fort semblable au blé ægilops de M. Fabre[1]. Ces expériences, répétées par plusieurs botanistes en France, en Allemagne, donnèrent partout les mêmes résultats[2]. La question changeait ainsi de nature, sans perdre pour cela de son intérêt. Le premier expérimentateur avait constaté la fécondité de son blé artificiel ; le second avait à s’assurer si elle se retrouvait dans son hybride. M. Godron poursuivit donc son expérience. Il continua d’élever des plantes provenant de semences obtenues par M. Fabre et par lui-même. Aujourd’hui encore il cultive les descendans des unes et des autres, et obtient tous les ans une récolte plus ou moins abondante. La forme intermédiaire de l’hybride s’est maintenue jusqu’ici dans les cultures de M. Godron. Il n’a pas observé de retour vers l’une ou l’autre des espèces parentes, comme cela a eu lieu à Montpellier et chez M. Fabre. Toutefois ce résultat n’a été obtenu qu’à l’aide de soins continus et minutieux, et les expériences de M. Godron ont bien montré qu’abandonné à l’action des seules conditions naturelles, même sur un sol préparé comme on le fait pour le blé, l’ægilops speltæformis disparaîtrait bien probablement dès la première année, et ne pourrait en aucun cas continuer à se propager. Cette race hybride, exception unique jusqu’à ce jour, ne dure donc que par l’intervention active de l’homme, et à ce titre nous aurons à l’examiner de nouveau plus tard. Il suffit

  1. M. Godron a donné à cet hybride quarteron le nom d’Æægilops speltæformis.
  2. M. Godron fit ses premières hybridations à Montpellier l’année même où parut le mémoire de M. Fabre. Il les a répétées à Nancy en 1857.