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I.

Fritz Reuter est né le 7 novembre 1810 à Stavenhagen, petite ville du Mecklembourg-Schwerin. Son père y remplissait les fonctions de bourgmestre et de juge municipal. Il possédait en outre une exploitation agricole assez considérable qu’il dirigeait lui-même. C’était un homme actif, exact et rigide. L’enfant, écarté par ses dehors sévères, se tourna de préférence vers sa mère, qui, condamnée par un mal cruel à ne pas quitter sa chambre, n’avait d’autre joie que de s’occuper de ses enfans. Sensée, instruite, douce avec une teinte de tristesse qui venait de son état, il ne la vit jamais que « tricotant au fond de sa bergère ou lisant accoudée sur son oreiller. » Elle commença l’éducation de Fritz, entremêlant les leçons de toute sorte d’histoires merveilleuses qu’elle inventait pour lui. Il resta jusqu’à sa quatorzième année sous cette direction, et il nous a tracé dans les Souvenirs de l’an treize des portraits charmans des premiers amis de sa jeunesse, qui furent aussi ses premiers maîtres. Enfant gâté de tous les braves gens qui entouraient sa mère, il se développa en toute indépendance parmi ces natures simples et originales. Il sortit de là non pas formé, mais préparé. De cette atmosphère pure et fraîche, de ce grand air libre où on l’avait laissé s’épanouir à l’aise, il emporta la bonne santé morale qui affermit le cœur. Ce bonheur inconscient des premières années ne reste point stérile. Tandis que l’enfant laisse la vie affluer joyeusement en lui, des affections témoignées, des belles choses entrevues, de tout ce qu’il a ressenti d’heureux et de bon, il se dépose comme une alluvion insensible qui plus tard fera l’homme. Reuter garda de ces premières années une empreinte caractéristique. Tout le germe de son talent est là.

Il fallut bien cependant qu’il quittât la maison paternelle. Il passa d’abord au gymnase de Friedland une année, pendant laquelle il perdit sa mère. Il ne montrait alors de dispositions prononcées que pour les mathématiques et le dessin. Un beau jour même, il déclara qu’il voulait devenir peintre; mais son père, qui s’était mis en tête de faire de lui un juriste, ne l’entendait point ainsi. Il fit cesser les leçons de dessin, et envoya Fritz terminer ses classes à Parchim. Il y resta jusqu’en 1831, et s’en alla ensuite commencer ses études de droit à l’université de Rostock, qu’il quitta bientôt pour celle d’Iéna. Le milieu était dangereux pour un homme fait comme lui. Il avait vingt-deux ans à peine : enthousiaste et naïf à la fois, sans expérience des choses réelles, avec une imagination de poète et la générosité téméraire de son âge, il tombait sans guide au milieu d’une jeunesse exaltée. Ce fut sa période de tempête, Sturm und