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Drang, comme disent les Allemands; mais il choisissait mal son jour, et la tempête l’emporta. Une digression historique ne serait point ici de mise; il y a peu d’écrivains en effet qui aient moins reflété leur temps que Fritz Reuter. La politique n’a eu sur sa carrière qu’une influence indirecte, objective, pour parler la langue du pays. Ce fut pour lui comme une de ces aventures où l’on se jette à l’étourdie et dont les suites pèsent sur la vie entière. Qui ne connaît d’ailleurs l’état des universités d’Allemagne à cette époque? Les étudians d’Iéna marquaient parmi les plus ardens. Ils s’étaient partagés en deux associations, l’Arminia, plus idéaliste, plus scientifique, la Germania, politique avant tout. C’est dans cette dernière société que Reuter se fit admettre, et il s’y distingua bientôt par la chaleur qu’il apportait dans toutes les réunions. « Un grand flandrin d’étudiant, au long corps étiré suivi d’un long cou, coiffé d’un bonnet aux rubans noir, rouge, or, — quelque chose d’antédiluvien dans toute la personne, » telle est l’image qu’il nous donne de lui-même en ce temps-là. Le droit l’attirait moins que l’activité tapageuse dans laquelle s’étourdissaient ses compagnons de la Germania. Tout était pour eux occasion de discourir, de boire, de s’exalter et de flétrir surtout la niaiserie des arminiens, qui rêvaient au lieu d’agir. Anniversaires glorieux pompeusement célébrés, promenades en corps, chants patriotiques, flots de bière, torrens d’éloquence, voilà sans doute ce que la Germania entendait par l’action. Toute cette effervescence était-elle bien redoutable? les étudians conspiraient-ils? La plupart étaient inoffensifs. Ils jouaient avec conviction un rôle qui leur plaisait; mais, la pièce finie et les lumières éteintes, ils reprenaient leur costume de tous les jours, et s’en retournaient tranquillement chez eux rêver de l’avenir de la patrie allemande. Au bout de trois ans, ils devenaient, comme leurs prédécesseurs, de paisibles pasteurs et de pesans conseillers. A la distance où nous sommes, on serait tenté de sourire de ces écarts juvéniles, si les répressions qu’ils amenèrent ne nous forçaient à prendre les choses au sérieux.

En janvier 1833, un commandement militaire fut installé à Iéna; on opéra plusieurs arrestations, et la Germania jugea prudent de se dissoudre. Reuter quitta même la ville et s’en retourna dans son pays. Il y était depuis quelque temps lorsque les événemens de Francfort, dans lesquels plusieurs anciens membres de la Germania se trouvèrent compromis, vinrent ranimer les poursuites, qui prirent dès lors un caractère beaucoup plus grave. De toutes parts, l’opinion conservatrice réclama des mesures rigoureuses contre les « démagogues. » On organisa dans différentes villes des commissions d’enquête, et les arrestations se multiplièrent. Reuter s’était