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elle est douce et tendre; à Harlem, point intermédiaire, elle est intense, robuste et gaie, sans nuance aucune de tristesse. C’est une ravissante campagne, cependant elle ne nous surprend pas trop : nous retrouvons quelque chose de son image dans nos souvenirs des autres pays; mais lorsque le chemin de fer qui vous emporte au Helder vous a fait franchir quelques lieues, alors commence le spectacle le plus original que vous réserve la nature de Hollande, après le paysage aquatique de l’arrivée à Dordrecht toutefois. Jamais originalité ne fut due à des élémens plus simples et moins nombreux; figurez-vous deux surfaces parallèles prolongées à l’infini, une surface verte, celle de la terre, et, selon les jours, une surface bleue ou blanche, celle du ciel. Cette immense prairie qui s’étend sans discontinuité de Harlem au Helder donne en pleine terre ferme quelque chose de la sensation que l’on éprouve en mer, lorsque l’œil, regardant à l’horizon, n’aperçoit que vagues succédant aux vagues. De même il n’aperçoit ici que flots de verdure succédant à flots de verdure et moutonnant sous un vent frais et doux. Comme sur mer, la vue est reposée d’un spectacle qui serait bientôt accablant par cette illusion bienfaisante de l’œil qui, donnant un démenti à la géométrie, prouve contre l’évidence de la raison que deux lignes parallèles peuvent se rencontrer lorsqu’elles sont prolongées à l’infini; l’horizon est fermé par le baiser du ciel et de la terre. Comme la mer enfin, ce spectacle endort l’âme et la plonge dans l’hébétement délicieux que nous ressentons lorsqu’assis sur une plage nous y restons de longues heures sans penser à rien. Au bout d’un instant, un sentiment d’une suavité incomparable s’empare de nous devant cette immense nappe de verdure d’une nuance si tendre. L’âme éprouve le besoin du silence et du recueillement, à l’instar de cette campagne où l’on n’entend aucun bruit, sauf de loin en loin le léger battement d’ailes de quelque joli petit canard, gros comme une perdrix, que l’on voit sortir du fossé qui longe le polder, ou le bond muet de quelque taureau paissant dans la prairie. Vos paisibles voisins arrivent bientôt eux-mêmes à vous gêner, et l’esprit de la solitude vient vous solliciter avec une éloquence d’une douceur irrésistible. Je conçois parfaitement maintenant que les habitans du Nord-Hollande passent pour bizarres même auprès des Hollandais des autres provinces.

Cette taciturnité, ce farouche amour de l’isolement, ces excentricités qui ressemblent aux manies des âmes innocentes d’enfans et de solitaires, cette proverbiale patience, tout cela est conseillé par cette nature, et, si au bout de quelques heures nous avons pu ressentir ces influences et glisser dans un état d’âme en harmonie avec ce paysage, qu’est-ce donc de l’homme qui passe les longues années de sa vie en face de cette verte steppe? Avec ces vertus,