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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/529

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dres, le vide profond de cette musique ne nous avait saisi comme à l’Opéra l’autre soir. Les splendeurs de la mise en scène, l’immensité du spectacle et des moyens d’exécution, loin d’en rehausser les qualités, ne font qu’en accentuer davantage la petitesse. Dès le troisième acte, le public n’y tient plus, cause dans les loges, comme en Italie, en attendant qu’un décor, une phrase de Mlle Nilsson, un pas de la Fioretti, viennent raviver sa sensation. Qui n’a parlé de la longueur des opéras de Meyerbeer? Ce Faust dépasse en durée tout ce qu’on peut imaginer: c’est interminable, et cependant la durée en somme compterait peu, car ce n’est point la montre en main, c’est sur les proportions que ces choses-là se mesurent. M. Gounod, qui naguère encore visitait Rome, a trop fréquenté la cathédrale de Saint-Pierre pour ne pas avoir admiré la surnaturelle harmonie de cette architecture, dont les lointains, si vastes qu’ils soient, se rapprochent par la symétrie. Robert le Diable, les Huguenots, l’Africaine, le Prophète surtout, sont des édifices de cet ordre. Comme dans la construction de Bramante et de Michel-Ange, tout y est calculé, à sa place; les morceaux ont le grandiose voulu par l’ensemble de la conception, laquelle à son tour s’encadre dans l’immense salle dont elle remplit magnifiquement tout le vaisseau. Je sais qu’on va me reprocher d’évoquer là des témoignages écrasans. Comment ne pas le faire? Est-ce notre faute à nous, si dans cette salle de l’Opéra, toute chaude encore des sublimes résonnances de la veille, cette musique appelle des comparaisons? Passe encore pour les partitions nouvelles; mais cet opéra de Faust ne date pas d’hier. Pour qu’on le transporte avec de tels honneurs d’un théâtre secondaire sur notre première scène, il faut apparemment que depuis dix ans il soit devenu classique. Cherchons alors, étudions, et tâchons de bien nous rendre compte du grand secret de cette transformation.

Qui dit classique dit simplicité, cohésion, harmonie, autorité de style. Or dans ce Faust point de grand parti-pris, tout y est détail, afféterie, juxtaposition de pièces, quelquefois très-remarquables, presque toujours disparates. A côté de la kermesse, puissamment conçue, noblement écrite, mouvementée., incidentée, pittoresque, page de maître, où fait seule tache une mesquine valse de salon, — à côté de la scène du roi de Thulé, peinte élégamment à la manière archaïque d’un Leys, voici, flambante et pailletée de vocalises de bravoure, la cavatine des bijoux, qui pourrait tout aussi bien figurer dans l’Ambassadrice; puis viennent dans la scène de l’église les élancemens vers Meyerbeer, dans le tableau du retour de Valentin la pompe militaire de la Juive d’Halévy, et, toujours et partout, la mélopée wagnérienne passée à l’alambic de l’hôtel Rambouillet et précieusement édulcorée d’une once de miel de l’Hymette.

Voyons un peu les caractères. Marguerite se montre, abordons-la. Quelle est cette jeune personne toute confite en mièvrerie, et d’où vient-elle? Assurément point de chez Goethe. Sa Marguerite à lui est une na-