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enlève cela d’un talent et d’un brio à fermer la bouche à la critique. C’est incorrect, mais c’est divin : les vocalises filent trop vite, point de mesure, la voix coule en montant, ne tient pas ; mais la gerbe chromatique a des irradiations si fulgurantes qu’on n’y voit que du feu. Autre part, dans le quatuor, trop de lenteur ; dans le duo d’amour, point de flamme ! C’est la Lucca qu’il faut entendre, si l’on veut se rendre compte de la manière triomphante dont une interprète chaleureuse peut passionner un morceau, et faire de la page la plus ordinaire quelque chose d’ému, de dramatique et d’entraînant.

La scène de l’église fournissait à Mlle Nilsson une occasion, qu’elle a saisie, de relever son drapeau compromis et de se réhabiliter de haute lutte vis-à-vis de ces éternels mécontens qui, après avoir jadis étouffé sous elle Mme Miolan, voudraient aujourd’hui éconduire la jeune Gretchen en évoquant le spectre de la Marguerite émérite. La revanche, s’il y en avait une à prendre, est cette fois victorieuse. Je voudrais seulement que Mlle Nilsson ne forçât point la voix. Pourquoi ces sol et ces la de poitrine ? Je signale surtout un sol sur la phrase finale : « mon Dieu ! » d’un effet détestable. La voix de Mlle Nilsson est d’un métal trop rare et trop précieux pour qu’on l’expose en pure perte, car les notes ainsi obtenues sortent ouvertes et blanches. Le reproche que j’adresse à Mlle Nilsson dans cette scène atteint également M. Faure, qui se surmène à outrance : excès de cris, excès de gestes, une emphase pontificale ! M. Faure, qui partout ailleurs joue le rôle sous jambe, ici se met à croire sérieusement que c’est arrivé. Je crains que cette conviction n’émeuve personne. On se dit : Ce n’est pas le diable, et dans cette robe rouge qu’il agite à si grands frais, sous cette barrette écarlate qui le coiffe, on le prendrait plutôt pour un cardinal officiant.

Que Mlle Nilsson ne soit point Marguerite, je l’admets volontiers ; mais Mme Carvalho ne l’est pas davantage, ni la Patti, ni la Lucca. Chacune de ces dames exécute le rôle en y faisant briller habilement la virtuosité qui lui est propre, et toutes ont raison, car il s’agit, ne l’oublions pas, bien plutôt d’un opéra écrit dans les données du Théâtre-Italien que d’une de ces conceptions où règne un plan déterminé, où se laisse voir une étude suivie des caractères. Cette fameuse phrase, que Mme Carvalho débitait avec tant de calme et de radieuse pureté, sait-on, par exemple, comment la Lucca l’a comprise ? Elle paraît à peine, et déjà brûlent dans son accent toutes les flammes d’un tempérament qui ne se contient plus. Le désordre des sens éclate dans ses paroles. La jeune fille qui a de ces ardeurs, de ces désirs, ne fut jamais pure un seul jour. Voilà certes une version qui ne se rattache guère au texte de Goethe, et cependant c’est enlevant. Inutile d’ajouter que la Lucca, en sa qualité d’Allemande, connaît son Faust, et que son interprétation, qui, selon Goethe, ne serait point la bonne, devient tout à fait permise dans un opéra italien, où la cantatrice n’a qu’à se donner libre carrière. Après ce que je viens de