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l’activité des races occidentales aille chercher dans ces parages des débouchés nouveaux. Fermée du côté de la mer par une ceinture de montagnes inaccessibles, l’Abyssinie n’offre pas l’attraction de richesses inépuisables ou même de produits variés. Le peu de trafic qui se fait dans ces régions a suivi jusqu’à présent la voie du Haut-Nil, à travers des contrées qu’un climat meurtrier interdit presque complètement à l’Européen, et peut-être le commerce des esclaves a-t-il été la principale source de fortune pour les rares traitans qui hantent ces parages. Enfin un état permanent d’hostilité avec les tribus musulmanes de la côte est un dernier obstacle qui interdit aux Abyssins toute relation avec la Mer-Rouge.

Il faut chercher ailleurs les véritables conséquences de l’expédition d’Abyssinie, et il ne serait pas juste de la réduire aux proportions d’une victoire facile remportée par une armée européenne sur des bandes indisciplinées et d’une vengeance stérile obtenue au prix de quelques millions de livres sterling. Le retentissement du triomphe de l’armée anglaise a été grand dans tout le monde oriental ; la présence au corps expéditionnaire de plus de 30,000 Indiens aura contribué puissamment à en répandre la renommée dans le vaste empire indo-britannique. On ne doit pas oublier que ce qui a fondé surtout la grandeur et la prospérité matérielle de l’Angleterre, c’est la persistance et la fermeté avec lesquelles, dans tous les temps et sur tous les points du globe, elle a su faire respecter son pavillon et protéger ses nationaux. Pouvait-elle sans danger oublier en Abyssinie ces traditions d’une grande et noble politique, et laisser sans vengeance l’insulte faite à son drapeau et les indignes traitemens infligés à ses agens ? Non sans doute, et, quelque grands que fussent les sacrifices qu’elle dût s’imposer, l’Angleterre a bien fait de ne pas reculer devant une entreprise coûteuse, pleine de périls, de hasards et sans grande compensation de gloire ou d’avantages immédiats. Tôt ou tard elle recueillera le fruit de sa victoire. Déjà nous apprenions, il y a peu de semaines, qu’une expédition projetée l’année dernière sur les frontières du Bengale avait cessé d’être nécessaire ; il est permis de penser que l’impression produite par les succès de l’armée d’Abyssinie n’aura pas été sans influence sur la soumission des tribus révoltées. Qui sait si le prestige de cette dernière guerre n’évitera pas au gouvernement des Indes plusieurs campagnes ? Si tel doit être l’heureux résultat de l’expédition d’Abyssinie, que l’Angleterre paie sans regrets les 8 ou 10 millions de livres qui représentent les frais de la guerre.


Louis D’HENDECOURT.