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il a triomphé même par sa cordialité autant que par sa vigueur, mais à laquelle il a fini par succomber, le poids de ses fautes l’emportant à une heure donnée sur la somme de ses bons services.

Parmi les hommes qui approchaient le plus du souverain, les deux frères Simitch, Stoïan et Alexis, étaient au premier rang. Ce n’est pas de ceux-là qu’on peut dire que Milosch les tenait à distance ; il les aimait au contraire et les avait comblés de biens. Il y avait même entre le prince et Stoïan Simitch ce lien spirituel, cette fraternité élective, qui tient une place si touchante dans les mœurs du peuple serbe. Milosch, après avoir prodigué à Stoïan les preuves de son amitié, après lui avoir donné des titres, des terres, des fonctions importantes, après l’avoir chargé de négociations délicates à Constantinople ou en Russie, avait-il voulu pourtant lui faire sentir que son autorité, à lui, prince des Serbes, dominait tout dans le pays serbe ? ou bien était-ce simplement ce despotisme de jour en jour plus jaloux, qui, sans atteindre directement Stoïan Simitch, lui inspirait des craintes pour l’avenir ? Je ne trouve pas de réponse précise à ces questions. Une chose certaine, c’est que Stoïan Simitch se sentait mal assuré de ses richesses, et que, mécontent de son peu d’influence, il portait envie aux boyards moldo-valaques. Il avait fait plusieurs fois le voyage de Bucharest. Le consul russe établi dans cette ville n’avait pas eu de peine à lui faire remarquer combien le sort d’un seigneur serbe tel que lui différait de l’existence d’un boyard. A quoi lui servaient ses richesses ? Lui assuraient-elles quelque autorité dans le pays ? Milosch était seul, Milosch prétendait régler tout. Un boyard au contraire n’était-il pas à peu de chose près l’égal d’un hospodar ? Voilà les institutions qu’il fallait donner à la Serbie. Milosch était un révolutionnaire à la manière française, son secrétaire Davidovitch ne songeait qu’à introduire sur les bords du Danube les principes subversifs de l’Occident ; le jour où Milosch ferait place à un souverain plus juste, à un prince plus respectueux de tous les droits, — et pourquoi ce prince ne serait-il pas Stoïan Simitch ? — on verrait l’aristocratie serbe, cette aristocratie née d’une guerre héroïque, occuper à côté du prince la place qui lui appartient.

Il n’en fallait pas tant pour enflammer l’imagination d’un homme qui avait dit en parlant, de Milosch : « Il nous barre le chemin à tous. » Stoïan Simitch répéta aux principaux personnages de la Serbie les propos tenus à Bucharest par le représentant du tsar. Les knèzes des grands districts, des juges du tribunal suprême, des ministres même, des ministres associés chaque jour au travail du prince, furent bientôt affiliés à la conspiration. Le difficile était de se concerter. Les agens de Milosch faisaient bonne garde ; la réunion de tous ces personnages aurait éveillé des soupçons.