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Cette clarté subite permettait de voir les tombeaux des saints, que la piété des fidèles avait singulièrement embellis depuis Constantin. Les murs sont couverts de marbre ou revêtus de plaques d’argent « qui brillent comme un miroir. » C’est là qu’on se rend de tous les côtés quand arrive la fête de quelque martyr célèbre. On y vient de Rome, « et la ville impériale vomit le flot de ses citoyens. » On y vient aussi des contrées voisines. Les paysans accourent en foule des villages de l’Étrurie et de la Sabine. « Chacun se met gaîment en route avec ses enfans et sa femme. Ils s’avancent le plus vite qu’ils peuvent. Les champs sont trop étroits pour contenir ce peuple joyeux, et sur le chemin, tout vaste qu’il est, on voit la foule immense s’arrêter. » C’est le même peuple, on le reconnaît, qui, encore aujourd’hui, quitte volontiers ses maremmes ou descend de ses montagnes pour visiter les madones miraculeuses ou le bambino de l’Ara-Cœli. Arrivés au tombeau du martyr, ils se livrent tous à cette dévotion expressive et bruyante dont les Italiens n’ont pas perdu l’habitude. « Depuis le matin, on se presse pour saluer le saint. La foule qui vient l’adorer passe et repasse jusqu’au soir. On baise la plaque d’argent brillante qui couvre le tombeau, on y répand des parfums, et des larmes d’attendrissement coulent de tous les yeux. »

Ces pèlerins dont parle Prudence ont laissé des traces de leur passage au cimetière de Calliste. Ils avaient l’habitude d’écrire leurs noms avec quelque prière le long des escaliers et à l’entrée des cryptes. Le temps n’a pas entièrement effacé ces graffiti; ils se retrouvent surtout dans le voisinage des tombes les plus visitées : les abords de la crypte papale en sont couverts. M. de Rossi s’est même avisé de s’en servir dans ses fouilles pour reconnaître les sépultures importantes. Quand il les voit se multiplier, il suppose qu’on approche de quelque monument historique; il se dirige du côté où elles sont le plus nombreuses, et il se met, pour ainsi dire, à la suite des pèlerins, qui le guident. Ce service n’est pas le seul que les graffiti lui aient rendu. Il a fidèlement copié tous ceux qu’il a pu lire, et sa peine n’a pas été inutile. Qui pouvait croire que ces quelques mots tracés sur les murailles par des paysans grossiers du Ve et du VIe siècle nous révéleraient tant de particularités curieuses? On y a découvert un de ces mille anneaux secrets par lesquels la dévotion chrétienne se rattache aux croyances antérieures. Quand nous regardons de loin, ces liens cachés et délicats nous échappent, et il nous semble qu’un abîme sépare le christianisme des religions qui l’ont précédé; mais la science, qui étudie les choses de près et ne néglige aucun détail, sans combler entièrement la distance, rétablit au moins les transitions. C’était un usage pieux des Grecs et des Romains, quand ils visitaient quelque temple cé-