Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/601

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passions ; en un mot, tous les chefs de la conspiration nouvelle, de la conspiration permanente qui travaillait ouvertement à la ruine de Milosch.

Milosch déploya la même adresse que le prince Dolgorouki. Il répondit à tout avec autant de courtoisie que de fermeté, tantôt avouant ses fautes, tantôt maintenant son droit, l’appliquant surtout à détromper l’envoyé russe sur le compte de ses protégés. « Croyez-vous donc, disait-il, que ces bommes-là aiment leur pays ou qu’ils aient des sympathies particulières pour la nation russe ? Ni l’un ni l’autre. Ils n’ont qu’une pensée, prendre ma place, se partager la Serbie comme une proie, faire impudemment ce qu’ils m’accusent d’avoir fait, et se venger du chef qui a déjoué leurs mauvais desseins. Pour assouvir leurs fureurs, ils s’adresseraient n’importe à quelle puissance, à l’Autriche, à la France, à l’Angleterre, au Grand-Mogol. Quant au sénat, puis-je constituer à côté de moi un autre pouvoir souverain dans un pays où l’unité d’action est plus nécessaire que partout ailleurs ? Je cherche où peut être en tout cela l’intérêt de la Russie. » À cette objection embarrassante, le prince Dolgorouki essayait de répondre en invoquant les engagemens du tsar. Le tsar avait promis de faire exécuter le hatti-chérif de 1830 ; or l’article 20 de ce hatti-chérif stipulait que le kniaze gouvernerait la Serbie avec une assemblée de notables. Il fallait donc que Milosch consentît à instituer ce sénat, car le tsar Nicolas était trop esclave de sa parole pour céder sur ce point. Et ne valait-il pas mieux que Milosch en prît son parti ? Si Milosch résistait encore, la Russie aiderait la Turquie à faire exécuter l’article 20, et ce que le prince des Serbes n’aurait pas accordé librement, il serait obligé de le subir.

La menace était pressante. Milosch semblait réduit à cette alternative : céder en secret ou être vaincu publiquement. Cependant il tenait bon ; pourquoi cela ? Parce que les avertissemens du consul anglais et l’insistance même du prince Dolgorouki lui avaient révélé la vraie situation des choses. La vérité était que la Russie, en portant la question à Constantinople, craignait d’être contrecarrée par la diplomatie occidentale, et qu’elle eût mieux aimé obtenir sans bruit le consentement de Milosch. — Voilà pourquoi on faisait agir la courtoisie insinuante du prince Dolgorouki après avoir employé inutilement les violences du baron de Buchmann.

Milosch résista aux caresses comme il avait dédaigné les menaces. S’il eût faibli d’ailleurs, la diplomatie anglaise était là pour le soutenir. Quelques semaines après la conférence que nous venons de rapporter, le 15 décembre 1837, lord Palmerston informait le kniaze qu’il avait résolu d’ériger le consulat britannique de Belgrade en consulat-général, « le priant d’agréer cette mesure comme