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et la France soutenaient en Serbie, c’était le prince libérateur des Serbes et fondateur d’une société qui pouvait subsister par elle-même ; la liberté hypocrite offerte aux sujets de Milosch n’était qu’un moyen de paralyser l’état naissant, d’y étouffer la jeune sève, de prolonger son enfance sous une tutelle intéressée. Or le tuteur ici, c’était le Russe. Grâce à la connivence maladroite de l’Autriche et à l’aveuglement de la Porte, l’influence russe l’emporta. M. de Boutenief déjoua tous les efforts de lord Ponsomby ; le hatti-chérif signé le 24 décembre 1838 assurait une autorité menaçante aux conspirateurs de 1835.

Est-il nécessaire de raconter en détail les événemens qui ont précipité Milosch du trône de Serbie ? La catastrophe a eu lieu au mois de juin 1839. Dès le mois de décembre 1838, on peut dire que la révolution était faite. Le hatti-chérif avait établi à côté du prince un conseil inamovible chargé de le surveiller, de le contrecarrer, de le réduire à l’impuissance, et en même temps il avait supprimé les assemblées nationales. « Ce chef-d’œuvre du libéralisme turco-russe, comme dit spirituellement M. Thouvenel, créait une véritable oligarchie dans le sein d’une démocratie ardente. » Seulement cette démocratie n’avait point encore assez conscience d’elle-même pour résister à l’intrigue qui s’emparait de la chose publique ; étonnée, indécise, elle assistait à ce spectacle étrange sans essayer d’y jouer son rôle. Il n’y avait donc que deux ennemis en présence, le prince d’un côté, de l’autre le conseil des dix-sept.

Le hatti-chérif accordait bien au prince le droit de choisir lui-même les membres de ce sénat ; mais il lui enjoignait de les prendre parmi les hommes « qui auraient pour eux l’opinion publique à cause des services rendus à la patrie. » C’était désigner les anciens compagnons de Milosch, devenus ses rivaux, les Simitch, les Protitch, les Petronievitch, les Voutchitch, tous les ambitieux qui disaient : Milosch nous barre le chemin. Soit désir d’exécuter loyalement les prescriptions de la Porte, soit embarras de trouver des notables dont la nomination pût être justifiée, Milosch avait dû appeler au sénat les personnages qui occupaient en Serbie une situation analogue à celle de sénateur, les anciens membres du tribunal suprême, les dignitaires de la chancellerie, tous ceux qui avaient juré sa perte. Espérait-il les contenir par son action personnelle, ou bien était-ce de sa part une soumission pure et simple ? Les questions se pressent dans l’esprit quand on le voit accepter si aisément une position insoutenable. Pourquoi n’essaie-t-il pas d’en appeler au jugement de la nation ? Pourquoi du moins ne rejette-t-il pas l’article du hatti-chérif qui lui ordonne de se livrer pieds et poings liés à ses plus violens ennemis ? N’a-t-il pas le droit d’interpréter selon