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les règles du bon sens ce langage équivoque et perfide ? La vérité est qu’il a perdu la tête, comme aux premiers bruits de l’émeute de 1835. Maintenant encore le souvenir de ses fautes paralyse tout à coup cette intelligence si vive, cette volonté si ferme. Mieux valait pour un tel homme abdiquer tout de suite que de s’exposer à une déchéance ; mais il faut bien que le despotisme soit châtié, et ce châtiment, que nous rencontrons ici pour la seconde fois, c’est le trouble, c’est la défaillance de ce vaillant chef qui ne sait ni garder son poste, ni le quitter à propos.

S’il avait compté sur lui-même pour échapper aux embûches de la constitution, cette illusion ne dura guère. Dès le premier jour où il essaie de mettre en jeu la nouvelle machine administrative, il y est pris comme dans un étau. A chaque mouvement, un obstacle l’arrête. Ses ennemis sont là qui disent : non. C’est un veto perpétuel, menaçant, irritant. Celui qui faisait tout est réduit à l’inaction. Le voilà enfermé dans le hatti-chérif comme un coupable dans une geôle. Que devenir ? Il quitte la Serbie sous prétexte d’aller voir son fils malade à Semlin ; là, il déclare qu’il ne reviendra occuper son poste qu’après l’apaisement des passions. Il est probable que, s’il eût persisté, cette résolution, quoique tardive, eût produit d’excellens résultats. On murmurait déjà dans les campagnes contre les partisans de la Russie, qui prétendaient dominer le pays serbe. Un manifeste de Milosch aurait soulevé la Schoumadia. Le consul russe, M. Vaschenko, comprit immédiatement le danger ; sur son avis, le sénat envoya au prince une députation chargée de lui faire les plus belles promesses et d’implorer son retour. Il consentit, il revint à Belgrade, et dès le lendemain il était de nouveau prisonnier dans son konak. Les milices de Milosch, qui tenaient garnison à Kragoujevatz, ayant appris par Jovan, le second frère du prince, les humiliations infligées à leur chef, marchèrent aussitôt sur Belgrade. Le sénat donna ordre à Voutehitch de rassembler les milices environnantes et de disperser les rebelles. La troupe dévouée à Milosch ne formait guère qu’un millier de soldats ; Voutchitch court au-devant d’eux avec 5,000 hommes, leur ordonne au nom de Milosch lui-même de mettre bas les armes. Étonnés, incertains, craignant d’avoir été trompés sur la situation des choses, ils finissent par obéir. Voutchitch, saisissant l’occasion, continue sa marche au pas de course, attaque la ville de Kragoujevatz, défendue par un petit nombre de miliciens, et la réduit après quatre jours de blocus. Les insurgés occupent le siège du gouvernement, ils sont maîtres des archives et du trésor. Apprenant cela, Milosch demande au consul russe si son abdication assurera le trône à son fils. « Il n’y a point de doute, répond M. Vaschenko, la constitution le veut expressément. » C’est le 11 juin 1839 que Voutchitch