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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/609

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De la part des cardinaux, nulle méprise possible sur la nature des services qu’on attendait d’eux, car le ministre des cultes leur avait d’avance intégralement communiqué les instructions impériales qui allaient être remises aux prélats députés. Ces instructions leur enjoignaient expressément de n’accueillir aucune modification, si légère qu’elle fût, soit dans l’esprit, soit dans la forme, au décret rendu par le concile. Ce qu’on voulait d’eux, c’était l’engagement formel de répéter incessamment au pape qu’il ne pouvait rien faire de mieux que d’accepter, sans se permettre d’y rien changer, le texte entier du décret, et cet engagement si extraordinaire, les futurs conseillers de Pie VII n’hésitèrent point à le prendre verbalement et par écrit[1]. On tombe véritablement des nues et l’on se sent pénétré de tristesse quand on rencontre de si déplorables exemples donnés de si haut par de pareils personnages. À défaut des avertissemens de leur conscience, il semble que la position qu’ils occupaient dans la hiérarchie sacrée de leur église aurait dû les prémunir contre le scandale d’une si coupable défaillance ; mais il y a des époques lugubres où, de proche en proche, de degré en degré, une sorte de contagion morale aussi irrésistible qu’indéfinissable s’en va poussant partout ses ravages. C’est alors que l’on voit ceux-là mêmes qui devraient garder avec un soin jaloux. le trésor de sentimens et d’idées qui forment le plus glorieux patrimoine de l’espèce humaine succomber aux atteintes du mal qui a commencé par sévir au-dessous d’eux. En des temps ordinaires, à propos d’affaires purement politiques, quel homme

  1. « Messieurs. les cardinaux Dugnami, Roverella, Ruffo et de Bayanne, vous avez demandé à sa majesté la permission de vous rendre à Savone. Sa majesté m’a donné l’ordre de vous communiquer les instructions données aux évêques, et de vous faire connaître que, si vous êtes de l’opinion que le pape doive ainsi arranger les affaires dont il est mention dans ces instructions, elle autorise votre voyage à Savone, et que vous pouvez partir incontinent. Je vous ai donné cette communication, et vous m’avez protesté qu’il est dans votre sentiment que le saint-père doit, pour le bien de l’église, accepter les arrangemens dont il s’agit, et que vous ferez auprès de sa sainteté tout ce qui dépendra de vous pour l’y déterminer. Sa majesté désire qu’arrivés à Savone vous n’écriviez à qui que ce soit, et que vous ne soyez l’intermédiaire d’aucune affaire auprès du pape. Si le pape adhère au décret du concile, vous pouvez rester à Savone pour lui servir de conseils dans les affaires ultérieures et les arrangemens qui suivront. Si le pape refuse son approbation, vous reviendrez tout de suite à Paris. » (Le ministre des cultes de France aux cardinaux Dugnami, Roverella, Ruffo et de Bayanne 19 août 1811.