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d’état, nous ne disons pas scrupuleux, mais seulement honnête, quel diplomate, si versé qu’on le suppose dans les habiletés de son métier, pourvu qu’il eût conservé le point d’honneur de la droiture mondaine, aurait consenti à jouer à l’égard d’un souverain étranger le rôle que dans cette négociation, où la religion était si directement intéressée, des princes de l’église avaient, non pas accepté, mais offert d’aller remplir auprès du chef de leur foi[1] ?

Les membres du sacré-collège qu’avait choisis Napoléon n’étaient point d’ailleurs les premiers venus parmi leurs collègues, et leurs noms, déjà connus du public et des fidèles, étaient tout à fait propres à dérouter les conjectures que l’on aurait pu être tenté de hasarder sur le but probable de leur mission. Dugnami était ce cardinal, espagnol qui, logé au palais du Quirinal, avait partagé avec Pacca l’honneur d’assister de sa personne, dans la nuit du 10 juillet 1810, à l’enlèvement du saint-père. Roverella, né à Césène comme son compatriote Pie VII, avait toujours joui en Italie d’une bonne réputation, et passait de l’autre côté des monts pour un théologien habile. Fabrice Ruffo, qui n’affichait aucune prétention de ce genre, s’était surtout rendu fameux par la bravoure qu’il avait déployée dans les montagnes de la Calabre à la tête d’un corps d’insurgés napolitains dont il s’était constitué le général, et auquel il avait donné le nom d’armée de la foi. Ses prouesses militaires en faveur de la dynastie des Bourbons des Deux-Siciles le faisaient généralement considérer comme un partisan très décidé de la cause pontificale. Le cardinal de Bayanne était cet ancien auditeur de rote que, par un témoignage de confiance aussi touchant qu’excessif, Pie VII avait naguère adjoint, quoique Français, à son légat Caprara, afin de suivre à Paris les orageuses négociations qui précédèrent de si peu l’occupation définitive de la ville de Rome. Tels étaient les antécédens des membres du sacré-collège qui n’avaient pas hésité à solliciter la mission d’aller, comme d’eux-mêmes, offrir au malheureux pontife détenu à Savone leur assistance menteuse et des conseils soi-disant désintéressés, mais dont la teneur

  1. « C’est avec la rougeur sur le front et avec la douleur dans l’âme que je me décide à soulever le voile qui couvre une action de mes collègues faite pour imprimer à leur mémoire une véritable tache ; mais il faut que l’univers connaisse les basses intrigues qu’employa le gouvernement français pour arracher au pape des concessions préjudiciables au saint-siège, afin qu’à l’avenir on ne puisse pas s’en prévaloir contre les papes. Au départ des cardinaux, le bruit courut dans Paris qu’ils avaient laissé à l’empereur, sur ses instances, la promesse écrite et revêtue de leur signature individuelle d’employer tout leur crédit auprès du pape pour le faire condescendre à ses désirs… Les bons catholiques doutèrent d’abord de la vérité de ces bruits ; il leur était difficile de croire que des cardinaux respectables eussent pu, oubliant leurs sermens solennels, commettre un acte, je n’oserai pas dire de prévarication, mais au moins d’une faiblesse impardonnable… » — Œuvres complètes du cardinal Pacca, t. Ier, p. 300