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et Ruffo. Ils avaient été dès le lendemain de leur arrivée admis auprès du pape, qui, sans rien rétracter de ses bonnes dispositions antérieures, mit toutefois en avant certaines restrictions qu’il n’avait pas jusqu’alors spécialement indiquées. Il leur dit, entre autres choses, « qu’il avait réfléchi à l’acte du concile que lui avaient déjà présenté leurs collègues arrivés avant eux à Savone, mais qu’il ne pouvait rien décider parce qu’il n’était pas libre, mais prisonnier[1]. » Le préfet de Montenotte se montre dans sa correspondance prodigieusement étonné de ce que des membres du sacré-collège aussi éclairés que les cardinaux Dugnami et Ruffo aient paru admettre un instant dans leur esprit cette difficulté, « qui n’est, dit-il, qu’un incident. » — « Qu’est-ce, en effet, que le pape entend par sa liberté après s’être tenu dans sa maison pendant un an et demi, pressé inutilement d’en sortir, sachant qu’il le pouvait, et que tous ceux qui désiraient le voir étaient libres d’approcher de son palais. Je doute qu’il attache un sens bien précis à ce mot, et, s’il le fait, c’est le retour à Rome, le rappel des cardinaux, la restitution de la daterie et de la pénitencerie dont il veut parler, toutes choses évidemment absurdes dans les circonstances actuelles[2]. »

Les deux cardinaux s’étant timidement hasardés à entretenir le soir même le préfet de Montenotte du désir qu’ils auraient de voir le pape libre, ne fût-ce que pour donner plus d’autorité au traité qu’il s’agissait de conclure avec lui, celui-ci n’épargna aucun effort pour les convaincre qu’ils faisaient tout à fait fausse route. « Je leur ai fait valoir avec prudence, écrit-il à M. Bigot de Préameneu, une partie des considérations que je viens de vous exposer. Je leur ai soutenu que dans le fait le pape était libre, s’il voulait l’être ; mais son intention semblait être de se réserver le droit de se plaindre. Cependant son palais n’avait point d’autre apparence que celle qui environne toujours l’habitation du prince. Les gardes que ces messieurs voyaient aux portes n’étaient point là comme une force, car la force était fort inutile sous un gouvernement aussi ferme que celui de sa majesté. » Le cardinal Ruffo s’était assez vite rendu à de si bonnes raisons ; mais le cardinal Dugnami leur opposa une plus longue résistance. Quelques nuages s’élevaient apparemment dans son esprit lorsqu’il venait à penser que ces sentinelles qui jour et nuit veillaient avec tant de précautions autour de la demeure du saint-père, afin de lui rendre, disait M. de Chabrol, les honneurs dus à un souverain, ne relevaient nullement de lui, mais y avaient été placés par les ordres directs du commandant de gendarmerie Lagorse, et n’obéissaient qu’à sa

  1. M. de Chabrol à M. Bigot de Préameneu, ministre des cultes, 2 septembre 1811.
  2. Ibid, 1er septembre 1811.