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ou écrites, des souvenirs confus et altérés qui se racontaient dans les familles pieuses et qui ont été plus tard recueillis; mais ces récits authentiques composés par les chrétiens témoins de la mort de leurs frères, ces interrogatoires officiels que le pape Antéros faisait copier à la préfecture de Rome par des secrétaires qu’il avait gagnés, ont tous ou presque tous disparu sous Dioclétien. Nous en avons un témoignage qu’il n’est pas possible de récuser. Le pape Grégoire le Grand, répondant au prêtre Euloglus, qui lui avait demandé des récits de martyres, lui dit : « En dehors de ceux qu’Eusèbe rapporte, je n’en ai pu trouver dans les archives de mon église ou dans les bibliothèques de Rome que quelques-uns qui sont renfermés dans un seul volume. Je possède, pour mon usage, un livre qui contient les noms de presque tous les martyrs; mais ce livre n’indique pas ce que chacun d’eux a été et la façon dont il est mort. On n’y trouve que son nom et la date de son supplice. » Faut-il croire que les légendes qui nous sont parvenues n’avaient pas encore été recueillies, ou bien Grégoire le Grand a-t-il jugé ce recueil, s’il existait, indigne d’être mentionné? Ce qui est sûr, c’est qu’à ce moment on ne connaissait presque plus de récits authentiques et officiels de la mort des martyrs. C’est pourtant l’époque où leur mémoire a reçu le plus d’hommages. On venait prier à leurs tombeaux avec une dévotion si bruyante et si exagérée que saint Augustin trouvait à redire à tous ces excès. « J’en connais, disait-il, qui sont des adorateurs de sépulcres et de tableaux, » et il ajoutait à ses reproches ce beau précepte qu’il est toujours utile de rappeler : « Gardez-vous de suivre la foule des ignorans qui trouvent moyen jusque dans la religion véritable d’être superstitieux. » Toutes les villes alors étaient fières d’écrire dans leur histoire le nom d’un martyr célèbre; elles lui construisaient de belles églises, elles se mettaient sous sa protection: elles espéraient qu’il écarterait d’elles les maladies si fréquentes en ces siècles malheureux, qu’il les sauverait des barbares, dont on entendait les cris lointains, et qu’au jour du dernier jugement, qu’on supposait proche et qui causait de si mortelles alarmes, le saint obtiendrait quelque faveur pour les concitoyens qui l’avaient honoré. « Quand Dieu, disait Prudence en vers admirables, agitant sa main qui brille d’éclairs et couvert d’une nuée enflammée, viendra peser les nations dans sa juste balance, — chaque cité, réveillée de son sommeil et levant la tête dans le vaste univers, s’en ira en toute hâte au-devant du Christ, apportant dans sa corbeille ses dons les plus précieux. — L’Africaine Carthage offrira tes os, illustre Cyprien; la brillante Narbonne s’avancera toute fière de son Paul, et toi, Arles, cité puissante, tu apporteras les restes de saint Genès. » Non content de rendre un culte aux saints