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qu’on avait chez soi, on entreprenait de longs voyages pour visiter ceux des autres pays. C’est l’époque où affluaient à Rome de toutes les parties du monde ces pèlerins dont j’ai parlé et qui ont laissé leurs noms aux catacombes. Ils y trouvaient une foule de tombes vénérées qui renfermaient des saints inconnus. Des noms sans histoire, des épitaphes courtes, des traditions vagues, des souvenirs confus, ne pouvaient pas contenter leur curiosité et leur ferveur. Ainsi d’un côté une piété ardente et naïve, avide de savoir, disposée à tout croire, qui éprouvait le besoin de connaître les saints qu’elle priait, de leur refaire une physionomie et une existence, de l’autre une grande pauvreté de documens, aucun récit authentique qui commandât le respect et presque pour unique souvenir des noms gravés sur des tombes ou écrits dans des livres : comment la légende n’aurait-elle pas germé et fleuri dans des circonstances si favorables? N’était-il pas naturel que l’imagination émue des fidèles, s’emparant de quelques traditions éparses, animât ces noms muets, leur rendît la vie, et leur créât libéralement toute une histoire? S’il en est ainsi, s’il est vrai que ces noms inscrits sur les tombeaux ont servi de fondement et de prétexte aux récits du Martyrologe, la présence de ces noms aux catacombes s’explique naturellement, et l’on voit bien qu’elle n’ajoute aucune autorité à ces récits. C’est donc sur d’autres preuves qu’il faut s’appuyer, si l’on veut rendre quelque crédit à ces légendes suspectes.

Je ne voudrais pas pourtant laisser croire qu’il entre dans ces réserves que je fais quelque esprit de système. Rien n’est plus loin de ma pensée. Plus les questions sont délicates, plus elles soulèvent de controverses ardentes, plus elles peuvent entraîner de conséquences graves, et plus il faut prendre la résolution de les aborder sans parti-pris, avec le seul désir d’arriver à la vérité. On a le tort de n’entreprendre l’étude des premiers siècles de l’église qu’avec des idées toutes faites, et, suivant l’opinion à laquelle on appartient, on est décidé d’avance à tout croire ou à tout nier. C’est une disposition fâcheuse, et dont tout le monde se trouve mal. La sincérité serait non-seulement plus honnête, mais plus utile que cette façon de plier l’histoire à ses croyances. Il arrive même quelquefois qu’emporté par la violence de ses haines l’écrivain ne distingue plus son intérêt véritable, et qu’il nuit à l’opinion qu’il prétend servir. Je n’ai jamais compris, par exemple, l’acharnement que les historiens du XVIIIe siècle ont mis à nier systématiquement les persécutions ou à en diminuer les effets. Quand Voltaire traitait les martyrs en ennemis, il ne s’apercevait pas qu’il frappait sur des alliés. Ces hommes qu’il poursuivait de ses railleries implacables avaient pourtant défendu, comme lui, la tolérance. Ils proclamaient,