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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/672

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la limite ordinaire de leur organisation, dépassent les tritons et deviennent en quelques jours des amblystomes, semblent réaliser non pas seulement ce qu’avait imaginé Geoffroy Saint-Hilaire, mais ce qu’avait rêvé de Maillet lui-même. Ici ce serait bien un animal adulte qui, sous l’influence d’un changement de milieu, peut-être aussi à la suite de blessures faites par un habile expérimentateur ou par ses compagnons de captivité[1], passerait brusquement d’un type à l’autre. Il serait pourtant bien étrange que la vérité fût là où il semble si peu sage d’aller la chercher, que la nature nous gardât cette surprise de donner raison au plus aventureux de tous ceux qui ont cherché à éclaircir le mystère des origines spécifiques, et que Telliamed eût deviné plus juste que les Lamarck et les Darwin. Jusqu’ici l’amblystomien issu de l’axolotl est une véritable énigme scientifique ; l’invoquer comme argument serait s’appuyer sur l’inconnu. Pour être autorisé à le regarder comme une espèce nouvelle, il faudrait d’abord le voir se reproduire, puis s’assurer que ses descendans ne retournent pas au type primitif, et, en fût-il ainsi, il faudrait encore examiner jusqu’à quel point le croisement, facile à obtenir artificiellement entre les deux types, présenterait les caractères du métissage ou de l’hybridation[2].

Pas plus qu’aucune autre, la théorie de Kœlliker ne peut donc en appeler à l’expérience, à l’observation. Elle est pourtant sans contredit la plus complète de celles qui reposent sur la donnée d’une dérivation brusque. Elle relie un certain nombre de faits, et les analogies invoquées par l’éminent professeur de Wurtzbourg sont bien plus plausibles que celles dont Geoffroy étayait ses idées. Toutefois les rapprochemens faits par Kœlliker conservent un caractère entièrement hypothétique. Une tendance innée à produire des types plus élevés, se révélant avec plus ou moins d’intensité dans des circonstances indéterminées, rend compte de la multiplication, de la variation, même du perfectionnement des types ; elle ne nous dit rien au sujet de la manière dont ils sont coordonnés dans l’espace et surtout dans le temps. Quiconque admet une force de transmutation, que cette transmutation soit brusque ou lente, doit reconnaître qu’elle est réglée par quelque chose de supérieur et de permanent. C’est là ce qu’ont parfaitement senti Lamarck et Darwin. Ce

  1. M. Duméril a vu dans quelques cas la transformation s’opérer d’une manière plus ou moins complète à la suite de graves mutilations résultant des morsures que les axolotls s’étaient faites mutuellement. Trois individus sur neuf, soumis à l’ablation des branchies, se dont complètement transformés.
  2. M. Dally est, je crois, le seul écrivain transformiste qui ait parlé de la transformation des axolotls, il n’y voit qu’un curieux résultat des actions de milieu (Note de M. Fischer insérée dans l’Introduction de la traduction de l’ouvrage de Huxley).