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demandé si les nations étrangères n’avaient pas fait fausse route lorsqu’elles avaient traité avec le taïcoun. En allant frapper à la porte de Yeddo, les négociateurs étrangers ne s’étaient pas trompés. S’il y a eu des erreurs commises, c’est lorsqu’il s’est agi de se rendre compte des rouages intérieurs de ce gouvernement, d’apprécier les conditions dans lesquelles s’exerçait l’autorité taïcounale. Nous allons tâcher d’élucider ces questions, qui ont donné lieu récemment à tant de controverses.

Gonguensama et ses prédécesseurs avaient conquis les armes à la main une partie des territoires des grands daïmios. Sur ces terres, Gonguensama établit une noblesse nouvelle, choisie parmi ses principaux compagnons d’armes, les daïmios gonfoudaïs, dont on compte aujourd’hui près de cent cinquante familles. Ces daïmios, à la tête de leurs clans, devaient pourvoir à tour de rôle, sur les ordres de leur suzerain le taïcoun, aux différens services militaires de la paix, et marcher avec lui en temps de guerre. En outre un domaine impérial, comprenant les provinces du Quanto autour de Yeddo, la nouvelle capitale, et différentes villes importantes, Osaka, Kioto, Simoda, Nagasaki, Hakodadé, forma l’apanage de la famille taïcounale. Sur ces terres, dont le revenu était d’environ 8 millions de kokous de riz (400 millions de francs), furent établis avec leurs familles près de quatre-vingt mille hattamottos ou petits nobles, sorte de milice devant en personne le service militaire au taïcoun et constituant sa force armée. Des conseils de daïmios, le gorodjo, le wakadouchiori, recrutés dans les familles taïcounales ou des gonfoudaïs, dirigèrent les affaires. Les provinces, les forteresses, les villes du taïcoun, furent administrées par des fonctionnaires, les bounios, assistés de nombreux employés ou yacounines de toutes classes.

Vis-à-vis du pouvoir taïcounal ainsi appuyé, quelle était la situation des grands daïmios ? Encore puissans et redoutés malgré leur abaissement, ils eurent l’entière possession des provinces qu’ils avaient conservées. Ils gardèrent leurs armées, leurs châteaux, et gouvernèrent par l’intermédiaire de karos, premiers fonctionnaires ayant les attributions les plus multiples[1]. Ne reconnaissant de supérieur proprement dit que le mikado, élevé au-dessus de tous par son origine sacrée, ils durent néanmoins s’incliner devant l’autorité du taïcoun, seul chargé de régler leurs contestations mutuelles, de diriger les affaires générales de l’empire et les relations

  1. Il est essentiel, pour compléter cet exposé, de mentionner les daïmios tosammas, fils puînés des grands daïmios, et dont les domaines, enclavés dans ceux des koksis ont été à diverses époques constitués en majorats. Ils sont également à peu près indépendans.