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gotaïro[1], et exerça en réalité le pouvoir souverain. Les étrangers venaient de paraître au Japon : le commodore américain Perry réclamait, à la tête d’une escadre mouillée dans la baie de Yeddo, l’ouverture du Japon aux commerçans et aux navires de son pays. Ikammo-no-kami, reconnaissant l’impuissance du gouvernement, crut impossible de retarder davantage l’introduction des étrangers, et, malgré l’opposition énergique que rencontrait cette mesure, il fit proclamer l’ouverture au commerce américain des ports de Simoda et d’Hakodadé. C’était rompre avec les traditions du pays et entrer en lutte avec une partie de la noblesse, qui, dominée par les conseils du prince de Mito, se montrait hostile à toute espèce de concessions. D’un caractère chevaleresque, fort considéré parmi les daïmios en raison de son âge, de son rang, de son intelligence, le prince de Mito saisit avec empressement l’arme que venait de lui fournir le gouvernement de Yeddo, et, fort de son ascendant sur l’aristocratie japonaise, il attaqua résolument le pouvoir du taïcoun. En minant de sa propre main le trône qu’il voulait assurer à son fils, il poursuivait une politique qui doit à bon droit nous paraître étrange ; mais l’homme qui s’efforçait ainsi d’amoindrir le pouvoir, objet de ses convoitises, se flattait de lui rendre plus tard, et à son profit, toute l’influence qu’il travaillait alors à lui ravir.

En 1858, lye-sada mourut sans descendans directs au moment où ses ministres, intimidés par les succès de nos armes dans le nord de la Chine, venaient de signer avec la France et l’Angleterre un traité dont les clauses étaient arrachées plus que consenties. Le taïcoun avait-il le pouvoir d’abroger de sa propre autorité la loi fondamentale de l’empire, les décrets de Gonguensama ? En agissant de la sorte, avait-il pour unique but de s’assurer le monopole du commerce avec l’étranger ? D’un autre côté, les daïmios, n’ayant point à intervenir dans les affaires extérieures et d’intérêt général, confiées exclusivement au taïcoun, auraient-ils pu recevoir les étrangers chez eux ? La solution de ces questions présente un moindre intérêt, aujourd’hui que les étrangers sont définitivement établis au Japon et qu’ils y pénètrent de toutes parts. Toutefois il suffit de les poser pour montrer combien les nouveaux traités compliquaient la situation intérieure, déjà si tendue, de ce singulier pays.

Entre le prince de Mito et Ikammo-no-kami, la lutte devint plus implacable que jamais. En dépit de ses efforts, le premier vit monter sur le trône de Yeddo un prince de la famille de Kii. Réduit à vivre loin de la cour, il semblait oublier la nouvelle injure faite à son nom, tandis qu’il préparait contre son ennemi une vengeance

  1. Dignité analogue à celle de premier ministre, et qui n’a existé à Yeddo que par intervalles.