Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/687

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terrible. Le 24 mars 1860, ses partisans surprennent et assassinent Ikammo-no-kami dans les rues de Yeddo. Quoique rien ne trahisse l’intervention directe du prince, que l’histoire japonaise offre d’autres exemples de serviteurs zélés se faisant lonines[1] pour commettre un crime dont leur maître doit profiter, l’opinion publique n’en rejette pas moins sur Mito toute la responsabilité du meurtre. Ce drame clôt dignement la carrière du vieux prince. A partir de ce moment, son fils Stotsbachi est seul en scène ; nous le retrouvons mêlé à chaque incident politique du Japon, poursuivant sans relâche de sa haine le gouvernement de Yeddo.


II

Les provinces méridionales du Japon, Kiousiou, Sikok et la pointe ouest de l’île Nipon, sont les plus riches et les plus peuplées de l’empire. Elles sont gouvernées par de puissans daïmios et éloignées des deux capitales. Elles ont dû à ces diverses causes de devenir le principal centre de résistance à l’autorité taïcounale. C’est là que les shiogouns firent leurs plus rudes guerres, et les descendans des vaincus conservèrent toujours l’espoir de recouvrer un jour leur indépendance. Il est à peu près certain aujourd’hui que les princes de Satzouma, de Nagato, et leurs voisins du sud songeaient presque tous depuis plus ou moins longtemps à mettre ce dessein à exécution, lorsque les incidens amenés par le séjour des étrangers au Japon vinrent leur donner l’occasion qu’ils appelaient. On devine l’appui que durent rencontrer chez ces princes les idées hostiles de Stotsbachi. Quoiqu’animés peut-être de vues différentes, tous ces seigneurs mirent en commun leurs efforts pour arriver au renversement d’un pouvoir qui, grâce aux relations entretenues avec les Européens, devenait chaque jour plus envahissant. Toute question de personne écartée d’ailleurs, à ne considérer que l’esprit de la constitution japonaise, les princes pouvaient abriter leurs griefs sous le manteau du patriotisme. Autour du mikado, les descendans des anciens fonctionnaires impériaux, revêtus encore de leur titre de kougués (fonctionnaires civils), mais en réalité investis de simples charges sacerdotales, vivaient dans l’ignorance absolue des affaires publiques. Les cérémonies de la cour, de pacifiques études de peinture et de musique, remplissaient leur existence, bornée à l’enceinte de la ville impériale. Tel était le centre passif autour duquel, comme au temps des Guéngi et des Héké, s’agitaient les ambitions rivales. C’était au nom du mikado que le parti dominant

  1. Lonine, officier sans emploi ne relevant plus d’aucun maître, et dès lors libre de commettre toute action sous sa propre responsabilité. Voyez au sujet des lonines, dans la Revue du 1er et du 15 février 1868, les études de M. J. Layrle sur le Japon en 1867.