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qui serait disposé à les accepter sans trop de peine est bien forcé de se dire qu’elles ne sauraient être toutes exactes, et, la défiance une fois éveillée, il ne tarde pas, à mesure qu’il les examine de près, à être frappé du caractère de plus en plus hypothétique et aventureux qu’elles présentent. Un moment arrive où la théorie ne concorde plus avec les faits. Quelques regrets que l’on éprouve, il faut bien alors renoncer à ces vastes horizons, à ces perspectives profondes qui semblaient toucher aux origines de la nature vivante et nous en expliquer le développement. Telle est la conclusion à laquelle m’a toujours conduit l’étude de ces questions, et qu’il me reste à justifier. Je ne me dissimule pas d’ailleurs la difficulté que présente cette partie de mon travail, difficulté qui tient à la fois à la nature du sujet et au mode d’argumentation mis au service des idées que j’ai à combattre.

Que l’on parcoure en effet les divers écrits dont j’ai parlé, on y verra partout les mêmes formules employées à chaque instant et de la même manière pour rendre compte des phénomènes. Je conçois, nous dit de Maillet, que le poisson se change en oiseau comme la chenille en papillon. N’est-il pas possible, répète bien des fois Lamarck, que le désir et la volonté poussent sur un point déterminé les fluides subtils d’un corps vivant, y accumulent par cela même des matériaux de nutrition, et déterminent ainsi l’apparition de l’organe dont le besoin se faisait sentir ? La conviction personnelle, la simple possibilité, sont ainsi présentées comme autant de preuves ou tout au moins d’argumens en faveur de la théorie. Or pouvons-nous leur reconnaître cette valeur ? L’esprit humain a conçu bien des choses ; est-ce une raison pour les accepter toutes ? À ce compte, il faudrait croire également aux systèmes les plus opposés. Quiconque part d’une hypothèse et raisonne logiquement habitue bientôt son esprit à concevoir les conséquences des prémisses qu’il a lui-même posées ; mais que l’hypothèse change, les conceptions changent aussi, les possibilités se transforment et se renversent pour ainsi dire. Voilà comment Geoffroy Saint-Hilaire, partant de la tératologie et de l’embryogénie, concevait parfaitement la déviation brusque des types animaux, et déclarait évidemment inadmissibles les modifications lentes, seules concevables, seules possibles dans l’hypothèse de Lamarck. Darwin aussi ne conçoit que ces dernières, et il insiste presque à chaque page de son livre sur la possibilité de ces transformations ; mais il faut évidemment des preuves plus sérieuses. Au fond, sauf ce qui implique contradiction, tout est possible, et ce mot a dans le langage habituel des acceptions bien diverses. Il existe des possibilités de différens ordres ; il en est un très grand nombre qu’on ne saurait pas plus démontrer que réfu-