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daires, d’invoquer les possibilités les plus diverses. Sans être bien sévère, il me semble difficile de les accepter toutes. Pour que le lecteur puisse en juger par lui-même, je citerai ici quelques exemples en choisissant les plus simples et ceux qui, pour être compris, exigent le moins de connaissances scientifiques. Voyons d’abord comment Darwin comprend la transformation de la mésange à tête noire ou charbonnière (Parus major) en casse-noix (Nucifraga caryocatactes). Tout le monde connaît la première. Quoique la plus grande de nos espèces indigènes du même genre, elle n’atteint pas aux dimensions d’un moineau. Son bec, petit, mais aigu et presque conique, est relativement très résistant. L’oiseau sait si bien s’en servir qu’il casse et perce des graines fort dures et même des noisettes. Le casse-noix, moins commun, moins répandu surtout que la mésange, vit d’ailleurs souvent à côté d’elle. C’est un assez bel oiseau, à peu près de la taille du geai, à plumage brun foncé, semé par places de taches blanches. Il est armé d’un bec fort, allongé, droit, comprimé sur les côtés, et qui lui sert non-seulement à casser les noix et fruits analogues, mais aussi à ouvrir les cônes des sapins et d’autres arbres résineux pour en tirer les graines. En résumé, l’ensemble des caractères du casse-noix l’a fait placer par tous les naturalistes à côté des corbeaux. Toutefois il se distingue de ces derniers par la conformation des pattes et des pieds, qui en font un oiseau propre à grimper plutôt qu’à marcher ou à se percher, et cette disposition s’accorde avec ses habitudes. Tel est l’oiseau que Darwin regarde comme pouvant bien être le petit-fils de la charbonnière. Après avoir rappelé que celle-ci brise parfois les graines de l’if pour en manger l’amande, il ajoute : « L’élection naturelle ne pourrait-elle conserver chaque légère variation tendant à adapter de mieux en mieux son bec à une telle fonction jusqu’à ce qu’il se produisît un individu pourvu d’un bec aussi bien construit pour un pareil emploi que celui du casse-noix, en même temps que l’habitude héréditaire, la contrainte du besoin ou l’accumulation des variations accidentelles du goût rendraient cet oiseau plus friand de cette même graine ? En ce cas, nous supposons que le bec se serait modifié lentement par sélection naturelle, postérieurement à de lents changemens d’habitude. Qu’avec cela les pieds de la mésange varient et augmentent de taille proportionnellement à l’accroissement du bec, par suite des lois de corrélation, est-il improbable que de plus grands pieds excitent l’oiseau à grimper de plus en plus jusqu’à ce qu’il acquière l’instinct et la faculté de grimper du casse-noix ? »

La transformation dont il s’agit ici est certainement une des plus simples dont parle Darwin. En somme, et malgré le contraste des