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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/75

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images que feront naître les noms de mésange et de corbeau, il s’agit de deux animaux appartenant à la même classe, au même ordre, et que séparent seulement dans la plupart de nos classifications quelques groupes plus ou moins distincts de l’un et de l’autre. C’est bien peu de chose en comparaison des métamorphoses qu’exige la formation des types. Pourtant cet exemple permet de juger assez bien du genre d’argumentation auquel j’ai à répondre. Nous y voyons une simple analogie dans quelques actes suggérer la pensée d’une filiation. La possibilité que l’une des deux espèces prenne goût à une nourriture particulière sert en quelque sorte de point de départ, et explique la modification du bec. Celle-ci, par corrélation de croissance, entraîne le développement des pattes. Acceptons cette conséquence, qu’autorisent dans une certaine mesure les mensurations prises par l’auteur sur diverses races de pigeons[1] ; mais le problème est-il résolu pour cela ? a-t-on transformé une mésange en casse-noix en grandissant le bec et les extrémités inférieures ? Ne faut-il pas encore grandir le corps dans la proportion du moineau au geai, modifier l’organisation interne jusque dans le squelette, le plumage jusque dans les couleurs ? De nouvelles corrélations jusqu’ici absolument inconnues expliqueront-elles ces graves changemens ? Certes la chose est possible. Aucune de ces hypothèses, pas plus que la conclusion finale, n’entraîne de contradiction ; mais est-il pour cela démontré que le casse-noix est bien réellement le petit-fils de la mésange ? Peut-on regarder cette filiation même comme probable ? Je ne le pense pas.

À raison de ce vague même, les argumens de Darwin ne sont rien moins que faciles à discuter directement. Peut-être le meilleur moyen de montrer ce qui leur manque est-il de faire voir qu’on peut avec tout autant de chances d’être dans le vrai renverser l’ordre de ces phénomènes hypothétiques et donner le casse-noix pour grand-père à la mésange. Cette manière d’envisager le problème aurait même l’avantage d’attribuer à la transformation une cause plus plausible, ce me semble, que la friandise accidentellement développée. Le casse-noix habite d’ordinaire les montagnes plantées d’arbres résineux, dont il recherche les graines. Il en est souvent chassé par la rigueur du froid et le manque de nourriture. Il descend alors vers les plaines, et y arrive dans un état de faiblesse tel qu’on peut parfois l’approcher à la portée du bâton[2]. Pour qui se place au point de vue de Darwin, n’est-il pas possible que, dans ces migrations forcées, quelques individus se soient laissé séduire

  1. De la variation des animaux et des plantes, t. Ier.
  2. De Lafresnaye, article Casse-Noix, dans le Dictionnaire universel d’Histoire naturelle.