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M. Gladstone. M. Disraeli, et après lui le ministre de l’intérieur du dernier cabinet conservateur, M. Gathorne Hardy, ont conduit vigoureusement la charge ; mais ils se sentaient vaincus avant d’engager la lutte, ils se battaient visiblement pour l’honneur. M. Disraeli a rassemblé les traits les plus acérés et les plus spécieux de son éloquence pour une cause à laquelle il ne croit pas beaucoup lui-même. Au fond, ce qu’il a défendu, c’est moins l’établissement protestant d’Irlande que sa propre position à la tête des tories, et c’est lui certainement qui aurait pu reprendre pour son compte ce mot naïvement piquant : « puisque je suis leur chef, il faut bien que je les suive. » M. Disraeli a suivi son parti, il l’a même précédé, et l’église d’Irlande est restée frappée à mort dans ce combat ; elle a été achevée par le chancelier de l’échiquier, M. Lowe, surtout par M. Gladstone et M. Bright. Elle n’a trouvé dans le parti libéral qu’un défenseur, sir Roundell Palmer, jurisconsulte éminent, homme de conscience et de scrupule, qui aurait pu être lord-chancelier dans le ministère actuel et qui n’a pas voulu entrer au pouvoir en laissant son opinion à la porte. Encore sir Roundell Palmer n’est-il qu’à moitié opposé au nouveau bill ; il n’a pas combattu la suppression de l’église d’Irlande comme établissement officiel, il repousse la partie du bill qui dispose des biens de cette église. Le légiste désavoue dans ses conséquences l’acte que le politique accepte dans son principe. Le vrai héros de cette lutte parlementaire après M. Gladstone a été M. Bright, qui a entraîné les communes par sa forte et énergique éloquence. Pour en finir de l’église d’Irlande, M. Bright n’a eu qu’à montrer ce que l’établissement protestant a fait des Irlandais, devenus par la persécution plus catholiques, plus romains qu’aucun peuple de l’Europe, et il n’a eu aussi qu’à rappeler d’un accent généreusement ému ce qui est arrivé, il y a vingt-cinq ans, de la fraction dissidente de l’église presbytérienne d’Ecosse, Les dissidens, au nombre de quatre ou cinq cents, quittèrent alors l’église officielle pour fonder une église libre. Ils ne se retirèrent pas avec leurs bénéfices, avec leurs avantages temporels, comme vont le faire les ecclésiastiques protestans d’Irlande. « Ils laissèrent de belles églises et de belles résidences, s’est écrié M. Bright ; ils s’en allèrent pauvres et nus… On ne leur dit même pas : Dieu vous bénisse ! » Cette église sans asile et sans salaire a prospéré cependant par la liberté. Elle a élevé des temples, bâti plus de six cents presbytères, ouvert plus de cinq cents écoles. Par la force du prosélytisme librement exercé, elle a trouvé 200 millions, et tous les ans elle recueille un budget fort convenable. Voilà ce que peut une église libre qui n’avait pas les ressources qu’aura encore l’église d’Irlande. Si celle-ci ne peut pas se soutenir dans les conditions où elle va se trouver placée, c’est qu’elle n’a en elle aucune vitalité ; elle n’est plus qu’une oppression sans excuse, une représentation insultante de la conquête. Le bill qui vient d’être discuté sera-t-il admis