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forment encore aujourd’hui le champ de bataille des partis, comme les principes de la (révolution en France, et elles font que sa mémoire est vénérée par les uns, maudite par les autres. C’est lui, c’est son esprit qui revit, dit-on, en Autriche maintenant, et quand au parlement on vient à le nommer, la gauche applaudit et la droite murmure. Par l’édit de tolérance du 13 octobre 1781, Joseph II établit la liberté des cultes[1]. Il fit du mariage un contrat civil soustrait à l’arbitraire du clergé catholique. Il défendit qu’aucune bulle ou pièce ecclésiastique fût publiée sans être revêtue du placet, c’est-à-dire sans l’approbation du gouvernement. Il supprima plus de la moitié des couvens, et fit de leurs biens un fonds destiné à pourvoir aux nécessités de l’église et de l’instruction. Les couvens riches qui furent conservés furent tenus d’ouvrir des écoles normales, et des moines, avant de prononcer leurs vœux, durent passer des examens.

Catholique sincère, Joseph II voulait purger le catholicisme des abus qui, suivant lui, en (diminuaient l’efficacité. Il prohiba les pèlerinages, réduisit le nombre des fêtes, enleva aux images saintes ces ornemens aussi riches que hideux, qui en font des idoles asiatiques. Il fit traduire la Bible en langue vulgaire et composer un

  1. Il est plus facile de reconnaître les vues de Joseph II dans sa correspondance que dans ses ordonnances. Celles-ci sont innombrables, et témoignent de sa fiévreuse activité. De janvier 1781 à novembre 1783 seulement, on compte deux cent soixante-onze édits. Voici quelques fragmens de lettres où l’esprit de l’impérial utopiste se revête tout entier. « Dans un royaume gouverné conformément à mes principes, écrit-il à l’évêque de Salzbourg en 1782, les préjugés, le fanatisme, l’esclavage de l’esprit, doivent disparaître, et chacun de mes sujets doit être remis en possession de ses droits naturels. Le monachisme a régné en maître dans toute l’Autriche ; les couvens sont devenus innombrables. J’ai une rude tâche à accomplir. Il faut que je diminue cette armée de moines, et que de ces fakirs je fasse des hommes. Aujourd’hui le peuple tombe à genoux devant leur tonsure, et ils ont su conquérir sur le cœur des gens simples une autorité sans égale. » Plus tard il écrit au cardinal Hrzan, son envoyé à Rome : « J’ai pris en dégoût les saducéens et les superstitions, et je veux en affranchir mon peuple. Les moines sont la cause de la décadence de l’esprit humain. Jamais prêtre ne consentira à ce que l’état le confine dans son véritable domaine, qui est l’Évangile, et empêche les lévites de conserver le monopole de l’enseignement. Les principes du monachisme sont en contradiction avec les lumières de la raison ; ils conduisent directement à l’adoration des idoles. Je ferai en sorte qu’il se retrouve encore des chrétiens. Si je puis accomplir mon dessein, mes peuples apprendront à connaître leurs devoirs envers Dieu, la patrie et l’humanité. Nos descendans me béniront de les avoir affranchis du joug écrasant de Rome, d’avoir fait rentrer, le prêtre dans les bornes de ses devoirs de façon à ce qu’il puisse consacrer son existence ici-bas à la patrie et son âme immortelle à Dieu. » Voilà l’esprit du XVIIIe siècle, avide de réformes, mais modéré cependant par la tradition : ainsi aurait parlé Montesquieu. Certes comme Frédéric II, Joseph II s’était nourri de Voltaire ; mais, mieux inspiré, il ne lui empruntait que l’amour de l’humanité et des lumières, la haine de l’intolérance, de la superstition et de l’injustice, rejetant la légèreté, l’impiété et le cynisme.