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entravées. Les Russes sont loin d’être aussi libres que leurs bons amis les Américains ; il ne semble pas cependant que les livres de science soient plutôt proscrits à Saint-Pétersbourg qu’à New-York. Le despotisme de l’état peut être dur et lourd ; mais il est ordinairement peu clairvoyant et borné dans le cercle de son action. S’il lui arrive de frapper fort, il touche rarement juste, et presque jamais il n’atteint le but qu’il vise. Le plus souvent, il donne plus de puissance aux idées qu’il veut comprimer, parce que, n’atteignant pas l’homme dans l’intérieur de son âme, il ne brise pas, il trempe plutôt le ressort qui doit le renverser quand l’heure de la délivrance sonne. Le despotisme de l’église au contraire, doux, prévoyant, paterne, paternel même depuis qu’à son ordre les bûchers ne s’allument plus, énerve bien autrement les peuples, car il s’étend à tout, et peu à peu se rend maître de l’homme intérieur. Ce n’est pas aux actes seulement qu’il commande, c’est aux pensées, à l’esprit. Les recherches de la géologie et de l’anthropologie l’alarment autant que celles de l’histoire, ou de l’exégèse, et, quand le bras séculier lui obéit, il élève dans toutes les directions des obstacles au progrès peu visibles, mais infranchissables. Il ne brûle plus et frappe à peine ; il endort plutôt et engourdit. Plus est pesante la tyrannie civile, moins elle a chance de durer. Il en est autrement de la tyrannie ecclésiastique. S’est-elle appesantie lourdement sur un peuple, il faudra des siècles à celui-ci pour se relever, et il est des nations qui probablement n’en reviendront pas.


III

L’église a toujours soutenu que, de droit divin, c’était à elle qu’il appartenait de juger les clercs et les causes ecclésiastiques. Cette prétention, le concordat autrichien l’a pleinement reconnue. « Toutes les causes ecclésiastiques relevant uniquement du for de l’église, porte l’article 10, c’est le juge ecclésiastique qui doit en connaître. » Le clergé constitue ainsi un corps privilégié, supérieur aux lois de l’empire et ne relevant que de Rome. La souveraineté suprême est au pape. D’autre part, les prêtres sont privés de leurs droits de citoyen et livrés à l’arbitraire des évêques. « Les évêques, dit l’article 11, auront toute liberté d’infliger les peines portées par les saints canons ou d’autres qu’ils jugeront convenables aux clercs qui ne porteraient pas un costume clérical en rapport avec leurs fonctions, ou qui d’une manière quelconque seraient dignes de blâme, et de les enfermer dans des monastères ou dans d’autres lieux à ce destinés. L’auguste empereur, si besoin est, prêtera main-forte pour que les jugemens, des évêques contre- les prêtres oublieux de leurs