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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/87

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Constatons une fois de plus cet appel à l’inconnu. Remarquons ensuite avec M. d’Archiac qu’il existe aujourd’hui bon nombre de terrains bien circonscrits, bien étudiés, dont nous connaissons sans doute à peu près tous les fossiles. Ajoutons avec M. Pictet qu’on découvre très fréquemment de nouveaux et riches gisemens. Si la doctrine de Darwin est fondée, n’est-il pas surprenant que l’immense majorité des objets journellement récoltés par une foule de collecteurs ardens appartienne toujours aux espèces figurant déjà dans nos collections[1] ? Comment se fait-il que les études monographiques les plus approfondies faites sur des animaux aussi sédentaires que les oursins viennent encore multiplier les exemples de ces apparitions brusques d’un type nouveau, incompatibles avec toute théorie fondée sur la transformation lente[2] ? La manière dont Darwin présente ce qui a dû se passer entre les espèces souches et leurs dérivés est bien loin de suffire pour expliquer le contraste frappant que présentent ici sa théorie et les faits. Quelque acharnée qu’ait pu être la lutte entre les variétés-mères et leurs filles, quelque supériorité que l’on accorde aux descendans sur les ascendans, toujours est-il qu’il a dû se produire d’innombrables intermédiaires entre le moment où une espèce a commencé à varier et celui où les espèces dérivées de cette souche se sont constituées. C’est une des conséquences forcées de la sélection telle que la comprend Darwin, et il l’énonce lui-même à diverses reprises. Comment se fait-il alors que, dans les faunes fossiles aussi bien que dans la faune actuelle, les espèces soient en général, selon ses propres expressions, « si tranchées et si distinctes[3] ? » À cette question, à bien d’autres de même nature, Darwin répond comme nous avons vu tant de fois. Il ajoute que les terrains superposés et en apparence de formation continue n’ont été déposés qu’à des époques séparées par d’innombrables siècles, que tout ce qui s’est passé dans l’intervalle nous échappe, et que là est encore une explication de la difficulté. N’est-il pas malheureux pour ses idées que tant de faits témoignant contre elles aient été conservés dans ce qui nous reste du grand livre, et que toujours ceux qui auraient

  1. Pictet, Sur l’Origine des espèces (Bibliothèque de Genève, 1860).
  2. Voyez les résultats généraux que l’étude des échinides fossiles a donnés à M. Cotteau. (Rapport sur la paléontologie de la France, par M. d’Archiac.)
  3. Chap. IX, 1. — Vogt répond à cette objection en attribuant au milieu une action directe et rapide produisant les transformations en un petit nombre de générations. Il arguë de ce qui s’est passé en Amérique lorsqu’on a transporté nos animaux domestiques dans ce continent ; mais d’une part cette argumentation repose sur un rapprochement entre la race et l’espèce que je combattrai plus loin, d’autre part, en attribuant une influence aussi grande au milieu, Vogt s’éloigne entièrement des doctrines dont il s’agit en ce moment : il abandonne Darwin pour Buffon. (Leçons sur l’homme, 16e leçon.)