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plaidé en leur faveur aient été inscrits dans les volumes égarés, sur les feuillets perdus ?

Ce n’est pas que Darwin et ses disciples, comme ses prédécesseurs, n’invoquent jamais de faits précis et parfaitement vrais ; mais les conséquences qu’ils en tirent sont-elles justifiées ? Je ne le pense pas. Par exemple, toute découverte d’un être vivant ou fossile qui vient se placer entre deux autres est regardée par eux comme un argument à l’appui de leur doctrine. Nous avons vu Lamarck parler dans ce sens de la découverte, alors récente, de l’ornithorhynque. Vogt et M. Dally tiennent le même langage à propos des genres lépidosiren et protoptère, qui relient les reptiles amphibies aux poissons. Tous deux citent en outre avec Darwin les recherches du regrettable Falconer et d’Owen sur les mammifères fossiles. M. Gaudry ajoute à ces faits déjà nombreux ceux qu’il a recueillis lui-même à Pikermi, et, tout en s’écartant à certains égards des idées fondamentales de Darwin, il conclut de la même manière et par des raisons semblables.

Je suis bien loin de mettre en doute les observations des hommes éminens que je viens de citer. Je reconnais sans aucune peine que ces travaux ont rempli bien des lacunes dans la classe des mammifères comme dans le tableau général du règne. Néanmoins ce résultat et les résultats analogues témoignent-ils, comme on l’affirme si haut, en faveur des idées soit de Lamarck, soit de Darwin ? Non, car ils peuvent être revendiqués comme démonstratifs par quiconque fait intervenir la loi de continuité, de quelque façon qu’elle soit comprise. Certes combler la distance qui sépare la plante de l’animal a dû sembler à nos pères tout autrement difficile que de trouver des intermédiaires entre le mastodonte et l’éléphant. Or Leibniz, dont les doctrines différaient fort, on le sait, de celles que j’examine, avait osé prédire qu’on trouverait un jour un être tenant à la fois des deux règnes. La découverte de l’hydre d’eau douce sembla lui donner raison ; et Bonnet y vit une preuve irrécusable de la justesse de ses propres idées, aujourd’hui pourtant si universellement, si justement abandonnées. Si le naturaliste genevois était encore vivant, il ne manquerait pas de tirer la même conséquence des faits dont il s’agit. Ainsi ferait aussi Blainville, qui, le premier peut-être, a eu l’idée de placer dans un tableau unique les animaux vivans et les animaux fossiles pour combler les vides les plus frappans de nos cadres zoologiques, et qui employait cet argument pour démontrer la série animale et une création unique. Blainville, Bonnet, Robinet lui-même, seraient logiques en agissant ainsi, car, tout autant que les doctrines de Lamarck et de Darwin, les leurs admettent ou entraînent à des degrés divers la loi de continuité.

C’est de cette continuité même que Lamarck et Darwin cherchent